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Pierre Boulez par Christian Merlin, de la nuance avant toute chose

Dans une France musicale encore divisée entre chapelles qui ont dominé tour à tour les institutions officielles, a pris le risque d'établir la première biographie post mortem de , disparu en janvier 2016.

Mais qui est pour écrire la biographie de Boulez, le compositeur et chef d'orchestre français incontournable (quoi qu'on en pense) de la seconde moitié du XXᵉ siècle ? L'intéressé prend soin de déminer cette question dans un prologue où, avec sa bonhomie habituelle distillée à coups de pirouettes pacificatrices, il assène cette possibilité toute simple : il est « en même temps réfractaire au dogmatisme et totalement ouvert à la nouveauté ». Et par là l'homme de la situation.

C'est ainsi qu'il aborde Boulez en s'attachant à déboulonner l'image univoque que ses thuriféraires comme ses détracteurs se sont employés à lui accoler. Pour dépassionner le débat, et mettre de la nuance, toujours et encore. L'homme Boulez étant secret (nulle vraie révélation n'est à attendre sur sa vie sentimentale) et ses rôles multiples (compositeur, chef d'orchestre, bâtisseur d'institutions, polémiste et penseur), le biographe adopte une construction particulièrement claire où ces différentes fonctions sont traitées de manière thématique, à côté de quelques rares chapitres biographiques.

Si l'ouvrage fourmille d'anecdotes hautes en couleur sur les attaques de Boulez contre ce qu'il considérait être le conservatisme et la réaction, Merlin donne à cerner la complexité de l'homme. Une analyse de Jean-Louis Barrault est particulièrement évocatrice. L'homme de théâtre avait 36 ans et Boulez 21 quand Boulez a rejoint la compagnie Renaud-Barrault pour en assurer la partie musicale : « Boulez arriva avec ses vingt ans (…) Il vivait « toutes griffes dehors, à l'écorché ». (…) Derrière cette sauvagerie anarchiste, nous sentions dans Boulez la pudeur extrême d'un sentiment rare, une sensibilité secrète. (…) Ses attaques, souvent sanglantes, étaient des défenses. »

Du chef d'orchestre, l'analyse de Jacques Longchampt pour Le Monde éclaire aussi le caractère double : « Il dirige sans baguette avec des gestes d'une pureté vraiment lumineuse, non pas en pétrisseur de glaise, mais avec une sorte de perfection, comme un vol d'oiseau (…). Les doigts sont expressifs comme une étude de Dürer ou de Léonard (…), la main très droite, coupante à la verticale, ou bien à l'horizontale pacifiante et protectrice. »

Le propos de  n'est pas d'excuser ou défendre, il agit davantage en juge de paix. Du Marteau sans maître ? C'est l'œuvre qui a permis au compositeur de « faire tomber les murs de la « prison » dans laquelle il s'était enfermé avec le sérialisme intégral ». De son chef-d'œuvre Pli selon pli ? C'est la bascule où l'harmonie l'emporte sur le contrepoint. De l'origine de ses interprétations flamboyantes de la musique d'Alban Berg ? Boulez l'expliquait par sa bien meilleure connaissance des œuvres antérieures, expérience acquise au fil des décennies. De la musique de John Adams répétée et interprétée de manière négligée par l'Ensemble Intercontemporain en 1993 ? Boulez avait tancé vertement ses musiciens pour leur manque d'ouverture en concluant : « Cette ouverture est pourtant essentielle pour ne pas sombrer dans un univers clos, et à terme, condamné à la stérilité ». Plus surprenant encore, en 1992 Boulez reconnaissait qu'il fallait se poser la question de savoir pourquoi le vocabulaire de Schoenberg n'avait pas trouvé son public, et qu'il ne suffisait pas d'accuser le public d'être paresseux ou de manquer de curiosité. L'acmé en matière de diplomatie, et c'est presque aussi beau que le serment de réconciliation du Père Laurence dans Roméo et Juliette de Berlioz, se trouve dans les pages sur le pamphlet anti-Boulez de Benoît Duteurtre, Requiem pour une avant-garde. L'auteur résume le débat en une formule lapidaire : « querelle de pouvoir plus que d'esthétique ».

Dans un épilogue étoffé de quinze pages, Christian Merlin résume son propos et réconcilie les contradictions apparentes du maître. L'ouverture du livre est « C'est de la folie ! », et son dernier mot est « soleil !». Parce que , en un mot, c'était aussi ça.

Relire notre hommage et nos article de référence, publiés à la disparition du musicien :

Pierre Boulez, de la posture au mythe

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