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Les enregistrements viennois d’István Kertész

Dans un coffret de 20 disques compacts agrémentés d'un disque Pure Audio Blu-ray, Decca nous restitue le legs viennois du chef d'orchestre .

Le présent coffret renferme des gravures effectuées de 1961 (Dvořák) à 1973 (Brahms), lorsque Kertész avait entre 32 et 44 ans. Le 14 mai 1973, à savoir presque un mois après sa mort prématurée, et en hommage à lui, l' termine l'enregistrement des Variations sur un thème de Haydn, incomplet au moment du décès, qu'on trouve ici dans son intégrité. Voilà un Brahms massif, voire musclé, néanmoins soigneusement mesuré quant aux choix des tempi et, de ce fait, illuminé çà et là par la vigueur et l'éclat. Les cordes baignées d'une sonorité argentée et charnue, la rondeur des phrasés, ainsi que la mise en valeur de leur côté chantant et théâtral nous font penser à l'art lyrique, le cheval de bataille de Kertész. Comme cette musique est, sous sa baguette, radieuse et suggestive !

Pour rester dans le domaine de l'opéra, prêtons l'oreille à la lecture de Don Pasquale de , dont les qualités interprétatives n'ont rien à envier à celles des Brahms évoqués ci-dessus, y compris pour ce qui est de la fraîcheur des timbres de l'orchestre. Juste avec une différence : la beauté vocale que nous assurent certains solistes, particulièrement la basse dans le rôle-titre et le ténor Juan Oncina en Ernesto. Toujours en matière de l'art lyrique, le premier enregistrement complet de La Clemenza di Tito, de 1967, révèle une exécution impériale. Le chœur est vif, et son vibrato ne gêne pas autant que dans sa lecture du Requiem du maître de Salzbourg. À cela s'ajoute la rondeur des phrasés qui, modelés avec soin et musicalité par , se voient conjugués, du point de vue global, à l'équilibre entre la tendresse et l'intensité. Des airs lyriques empreints de poésie s'entremêlent donc ici avec des moments d'agitation. Parmi les solistes, on trouve des stars, comme , et .

Un autre album intéressant de ce coffret, un régal intitulé Mozart Opera Festival, est celui réunissant sur deux disques un bouquet d'ouvertures, d'airs et d'ensembles extraits de plusieurs opéras : Le nozze di Figaro, Idomeneo, Die Entführung aus dem Serail, Die Zauberflöte, Zaide, Così fan tutte, Il re pastore et Don Giovanni. Chroniquée en 2006, cette réalisation nous dévoile à quel point était un chef opératique par excellence : capable de nous faire ressentir le pouls et la théâtralité que ces pages respirent, et rendant les accents mozartiens purs, nobles, mélodieux et d'une expression poignante, profonde et si vraie. Sous sa houlette, les graves de l'orchestre sont pleins de relief, et les aigus saisissent par cette chaleur typique des cordes en acier, rendue plus éblouissante encore par son humanisme et sa compréhension de l'œuvre de Mozart. N'oublions pas de mentionner, dans ces lignes, les éminents solistes. Parmi eux, le baryton crémeux de est envoûtant – en dépit d'un léger manque d'harmoniques – par son timbre agréable, sa droiture, son sens du drame et sa compréhension de la signification des paroles.

Pour les symphonies de Mozart, nous avons, encore une fois, affaire à cette sonorité charnue et lumineuse, tout autant qu'à une articulation nette et profonde, si caractéristiques de l'art d'István Kertész. On reçoit de lui un Mozart dense, massif et sérieux, même dans les partitions légères, comme la Sérénade n° 13 en sol majeur « Eine kleine Nachtmusik », pour l'exécution de laquelle on aurait aimé percevoir un peu plus de vitalité, susceptible de mettre en avant l'humour inhérent à ces pages.

En ce qui concerne les Schubert, on se régale d'exécutions vivifiées par la rondeur des phrasés et la variété des nuances, contribuant à développer une matière sonore riche. Un rythme précis, un vibrato modéré et la transparence des textures, voici quelques traits emblématiques de ces lectures pour lesquelles István Kertész fait retentir les moindres détails de l'écriture schubertienne. On n'y ressent aucune précipitation, et on perçoit, une fois de plus, l'amour du chef pour l'opéra : son geste se pare de panache et de grandeur, voire de majesté. En conséquence, on nous sert un Schubert costaud, mais pas dénué de gracilité, en particulier pour le tissu sonore déployé par les cordes aussi doux que discret, et parfois même frémissant. Puis, un Schubert pénétré par la maîtrise de l'agogique et, donc, d'une cohérence dramatique exemplaire, et ce, en dépit du caractère analytique de ces interprétations. Par moments, on note un Schubert raide, en raison d'accentuations du rythme un brin factices, surtout dans le 3e mouvement de la Symphonie n° 6 en ut majeur D. 589.

Last but not least, signalons la présence de la Symphonie n° 9 d', complétant le coffret édité en 2016, qui regroupe les œuvres symphoniques du même auteur, données par István Kertész à la tête du London Symphony Orchestra. Sous sa baguette, cette neuvième symphonie est monolithique, ardente et lyrique plutôt que virtuose, encore que l'élan et l'intensité soient bien là aussi. On se réjouit du raffinement des couleurs (quelle beauté dans les interventions des violoncelles !), ainsi que des contrastes dynamiques marqués, révélant la splendeur de cette musique où s'incarnent tout à la fois l'esprit slave et des échos de l'Amérique de la fin du XIXe siècle.

Voici un coffret qui nous restitue une partie considérable du legs discographique d'un important chef un peu (injustement) oublié. Ne ratons pas l'occasion de nous le procurer. Le nombre d'exemplaires est limité.

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