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Le Grand Opéra, 1828-1867 : ou comment l’Histoire s’écrit

Dans le cadre des festivités du 350ᵉ anniversaire de l’Opéra National de Paris, et après une brillante exposition sur les racines italiennes de l’opéra français, le Palais Garnier accueille une rétrospective sur la période non moins fastueuse du Grand Opéra dont les limites chronologiques sont de 1828 (année de la création de La Muette de Portici) à 1867 (année de la création de Don Carlos).

L’exposition est organisée de façon chronologique, avec comme lieu de prédilection la salle Le Peletier qui est l’endroit où est créé et maintenu le genre du Grand Opéra, et le sous-titre de l’exposition éclaire le propos muséographique. En effet, le Grand Opéra est la mise en musique sur scène de tableaux de l’histoire non plus allégorique ou mythologique comme jusqu’alors, mais de l’histoire plus récente tels que le Moyen Âge, le siège de Corinthe ou l’histoire de Gustave III (concernant ce dernier sujet, cela n’entraîna pas de problèmes liés à la censure sous Louis-Philippe, ce qui sera bien différent pour Verdi et son Bal Masqué). La scénographie de l’exposition souligne d’ailleurs ce rapport à l’histoire avec un rappel de couleurs des cathédrales ainsi que les cimaises découpées en voûtes à ogive.

L’exposition est présentée en cinq parties. Elle s’ouvre sur les prémices du Grand Opéra annoncés par La Vestale, créée en 1807 au square Louvois (on peut y observer le premier exemplaire de la partition détenu par le couple impérial, dont la dédicace à Joséphine aura été effacée dans les éditions suivantes, suite au divorce de Napoléon d’avec celle-ci) et par la Médée de Cherubini qui a été portraituré par Ingres.

La partie intitulée « La révolution en marche » développe les bases du Grand Opéra, posées dans La Muette de Portici (créée en 1828) : une structure en cinq actes, une scénographie imposante, une présence importante des ballets ; ce tournant dans l’histoire musicale est évoquée= par les dessins de costumes de La Muette, la partition ouverte sur « Amour sacré de la patrie » (air connu pour avoir suscité le soulèvement du peuple ayant engendré la révolution belge), un très beau dessin de la mise en scène et les plans du chef machiniste de l’éruption du Vésuve. Guillaume Tell de Rossini (créé en 1829) utilisera de son côté la narration de la révolte du peuple suisse qui engendra la naissance de la confédération helvétique.

Il faut attendre Meyerbeer pour connaître l’expansion du genre et les triomphes du Grand Opéra, donnant également naissance au ballet romantique (il faut rappeler que l’héroïne de La Muette de Portici est silencieuse et qu’elle est personnifiée par une danseuse). On admire le compositeur par le buste qu’en fait Carrier Belleuse qui sculptait toutes les personnalités en vue d’alors. Ce que l’on peut nommer la tétralogie de Meyerbeer est déclinée par les esquisses de décor pour Robert le Diable, dans lequel le compositeur fit utiliser la trompette à piston en sol moins claironnante afin ne pas couvrir les voix. Le très beau tableau de Valentine et Raoul (du musée des Beaux-Arts de Bordeaux) par Camille Roqueplan et la gravure du château de Chenonceau suggèrent les Huguenots, et derrière le plan politique des guerres de religion, Meyerbeer déploie sa conception de la dramaturgie comme il le fait en étoffant la psychologie des personnages comme Marcel.

Le prophète est un opéra qui offrit plus d’occasion aux parodistes de tourner en dérision cet épisode religieux (l’Âne à Baptiste ou bien la comparaison du caricaturiste Cham entre le ballet des patineurs et la difficulté à former une chambre des députés), et on ne peut qu’être ému d’admirer le gobelet tenu par Jean de Leyde dans la scène du couronnement. L’africaine a sa maquette illustrant le naufrage du bateau de Vasco de Gama que l’on peut contempler sous tous les angles rappelant les décors pesant douze tonnes !

Les chanteurs qui permettent à ces œuvres de prendre vie ont pour nom entrés dans la légende : Falcon, Stoltz , Nourrit, Duprez, dont un mur entier de portraits suscite une contemplation rêveuse.

La partie intitulée « Dernières gloires » maintient ce souci d’établir le rapport entre histoire et Grand Opéra, notamment par l’entremise de Verdi qui écrit trois opéras pour la Grande Boutique : Les Vêpres siciliennes (qui eurent plus de 160 répétitions à l’époque !), Jérusalem (suggérée par les dessins de Viollet-le-Duc) et Don Carlos. Les techniques d’impressions photographiques permettent alors de faire circuler des tableaux inspirant les costumes avec un grand souci du détail et fournissant des indications pour les couturiers.

Le cadre de années très productives de l’Académie de musique était l’Opéra Le Peletier, construit en un an et demi, tout en bois, qui devait être une salle provisoire. Fort heureusement, le bâtiment administratif, un peu l’écart de la salle de spectacle, fut préservé lors de l’incendie qui ravagea l’Opéra, ce qui permit de sauver d’innombrables archives.

Enfin, la gloire du Grand Opéra décline avec quelques avatars tardifs : Henri VIII (de Camille Saint-Saëns), Benvenuto Cellini (inspiré de l’esthétique de Meyerbeer bien que Berlioz soit contrasté dans ses rapports avec celui-ci), Polyeucte de Gounod.

Période charnière de l’histoire de l’opéra et de la vie musicale française, les cinquante années qui virent une production lyrique avec des records de recettes et du nombre de représentations, laissèrent dans l’imaginaire collectif le souvenir d’une période dorée dont les cendres serviront de base à une certaine nostalgie et à l’inauguration d’un nouvel opéra en 1875, le Palais Garnier.

Crédits photographiques : Camille Joseph Étienne Roqueplan, Valentine et Raoul ou Une scène de la Saint-Barthélémy © Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, photo Frédéric Deval; La scène finale de La Muette de Portici, Bibliothèque-musée de l’Opéra © BnF/BMO; Esquisse de décor pour La Juive de Fromental Halévy © BnF/BMO

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