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Sang et folie meurtrière avec le Macbeth mis en scène par Michael Thalheimer

Poursuivant son exploration du répertoire verdien, signe une mise en scène particulièrement noire du chef-d'œuvre de Verdi. Plateau efficace et homogène pour un spectacle dominé par le traitement des forces obscures.


Une fois encore, la mise en scène proposée par pour ce Macbeth, déjà donné la saison dernière à l'Opera Ballet Vlaanderen, fait preuve du plus grand dépouillement. Dépourvu d'accessoires, le plateau est occupé par une immense cuve aux reflets anthracites flanquée de parois arrondies, à l'image de ces skateparks dans lesquels s'entraînent aujourd'hui les jeunes skateboarders. Rappelant tour à tour une cale de bateau, une fosse aux lions ou l'arène d'un cirque, l'espace suggère l'enfermement de personnages prisonniers de leur destin, englués dans les forces noires qui les font perpétrer crime sur crime. La vision des personnages dominant ce dispositif particulièrement oppressant, dont la dimension anxiogène est encore renforcée par la subtile utilisation des éclairages, crée des images à la très forte puissance évocatrice. L'obscurité grisâtre du dispositif, qui souligne la dimension nocturne et onirique de tels agissements, est complétée des flots de sang dont sont couverts les personnages, autant les victimes que leurs assassins. La mise en scène met en valeur les acteurs du chœur, qu'il s'agisse des sorcières omniprésentes que des soldats des armées, messagers du destin implacable qui s'abat sur le couple maudit.

Unis dans leur déchéance morale et physique, les deux protagonistes de l'opéra fascinent par leur incarnation maléfique. Si Macbeth conserve encore quelque humanité dans ses doutes et ses questionnements, la dimension vampirique de sa Lady condamne le personnage à un anéantissement qui, pour une fois, est montré en scène : au moment où l'on annonce de la coulisse la mort de la farouche guerrière, le personnage s'éteint sous les yeux des spectateurs et tombe inerte, tel un oiseau de proie abattu en plein vol, dans les bras de son époux. La scène la plus forte est celle du banquet de l'acte deux, grâce notamment à l'apparition du spectre ensanglanté de Banco, laissé quasiment nu sur le plateau lors de la scène précédente et surgissant tel un Christ en croix aux yeux d'un Macbeth abasourdi. La danse grotesque à laquelle se livre Lady Macbeth au moment du brindisi souligne la dimension carnavalesque d'une scène qui pour une fois semble prendre, dans son horreur glaçante, tout son sens.

Sans proposer d'interprétation véritablement marquante, le plateau affiche une belle homogénéité vocale. Dominé par les voix graves, il permet notamment d'apprécier la belle basse de , dont le superbe style verdien fait belle impression au deuxième acte. Prestation très convaincante aussi de , capable des plus belles nuances et d'un chant d'une grande expressivité, même si son instrument n'est pas encore celui du grand baryton verdien qu'on attend d'un rôle comme celui de Macbeth. Le Macduff de n'est pas vraiment mémorable, mais l'artiste a su rendre justice au bel air du troisième acte. Dans le rôle de Lady Macbeth, enfin, possède toutes les qualités de son rôle : voix longue et puissante, aigus d'airain, capacité à vocaliser dans ses airs des premier et deuxième actes. La voix n'est pas d'une très belle couleur, et le vibrato est bien trop large, mais on sait bien que c'est ce type de voix que Verdi souhaitait entendre pour ce rôle. On signalera pour terminer la très bonne qualité des petits rôles, dont la présence apporte beaucoup en force dramatique à certains passages-clés, comme par exemple la fameuse scène du somnambulisme.

Ce serait faire injure que de ne pas mentionner la qualité du chœur de l'Opera Ballet Vlaanderen, surtout chez les messieurs. En revanche, la direction de , à la tête de son , parait quelque peu extérieure au climat d'épouvante suscité par la mise en scène. On en apprécie pas moins les belles couleurs orchestrales d'une partition de toute beauté, dont un spectacle comme celui-ci permet encore mieux de goûter la richesse et la complexité.

Crédit photographique © Annemie Augustijn

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