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La 21e édition du festival Musiques Démesurées autour de Betsy Jolas

Pour cette 21e édition, la nouvelle directrice artistique du festival Musiques Démesurées, la compositrice , a mis en place une programmation musicale riche autour de deux piliers centraux :  la compositrice Betsy Jolas et la thématique de l'environnement, fortement ancrée dans l'actualité du moment.


Betsy Jolas, invitée d'honneur

Le concert d'ouverture est envoûtant de bout en bout avec l'ensemble vocal féminin accompagné du saxophoniste . Que ce soit pour les mélodies sur des poèmes de Victor Hugo, De Nuit, de Betsy Jolas qui débutent la soirée, le Sator arepo tenet opera rotas de Guilhem Lacroux, ou pour le Djamila boupacha de Luigi Nono, chaque voix soliste a cappella détient une solidité technique remarquable qui permet à chacune d'entre-elles de déployer une conduite libre de la ligne vocale afin de toucher au plus près d'une expressivité volubile et sensible. Ensemble, elles exploitent tous les coins et recoins de la basilique, une mise en espace sonore de plus en plus fréquente permettant de renouveler l'écoute de l'auditeur.

Le programme mêle des mélodies médiévales à celles de la musique contemporaine. Certains pourraient s'en étonner alors que dans les compositions de Betsy Jolas, comme dans celles de , l'une des interprètes du soir, on y retrouve leur influence directe. C'est donc tout naturellement que la musique du Graduel d'Albi du IXᵉ siècle et celle d' (1098-1179) côtoient les œuvres vocales du XXIᵉ siècle. explore la richesse auditive de l'espagnol dans Cantar del Alma, projetant un éclairage lumineux et serein à une matière textuelle et sonore particulièrement poétique. Et alors que cette compositrice traite les instruments comme la voix lorsqu'elle les utilise, son aînée prend exactement le parti-pris inverse, le saxophoniste le confirmant grâce à sa brillante exécution d'Episode IV. La symbiose est étonnante entre l'instrument et les trois voix quand le quatuor interprète la remarquable partition de , Je vois passer l'ange. La finesse et l'élégance d'écriture affaiblissent en comparaison la création mondiale de Boris Clouteau, Et puis plus rien, commande du festival, qui parait quelque peu grossière dans la construction du discours et le traitement de la voix.

Le lendemain, ce sont deux musiciens très liés à l'œuvre de Betsy Jolas que l'on retrouve à l'auditorium du CRR de la ville pour un « concert-portrait » : ayant fait le choix il y a plus d'un an d'interpréter l'ensemble du catalogue dédié au piano de la compositrice, alors que le violoncelliste Anssi Karttunen est devenu un de ses amis chers grâce à son choix de jouer aussi nombre de ses œuvres pour violoncelle. C'est donc avec évidence que les deux musiciens évoluent dans des partitions très complexes, certaines mêmes étant considérées par son auteure comme « injouable ». L'apothéose de la présence de la compositrice à Clermont-Ferrand est la commande du festival de Side Roads, écrite en vérité à destination d'Anssi Karttunen, ce soir accompagné de l'Orchestre national d'Auvergne. Après avoir terminé cette ouvrage de 18 minutes mi 2017, créé à Örebro, en Suède, en octobre 2018, Betsy Jolas décida d'écrire un cycle de lieder pour violoncelle et piano toujours pour les deux interprètes, Femme le soir, interprété la veille. La boucle est bouclée.


Entre planète et nature

La seconde thématique du festival jalonne les journées suivantes, démarrant par un hommage au compositeur Tôn-Thât Tiêt du Trio Salzedo composé de la harpiste Frédérique Cambreling, la flûtiste Marine Pérez et la violoncelliste Pauline Bartissol dont leur dernier enregistrement est consacré au compositeur (Incarnations structurales, Horizons, octobre 2019). La disparité entre la sonorité des instruments occidentaux et l'abstraction mélodique inspirée des traditions orientales, ainsi que la suspension des images sonores dans le temps long de la méditation sont parfaitement caractérisées par le trio féminin. Trois autres œuvres dédiées au trio ponctuent la soirée, dont Iruleak de Zuriñe Guerenabarrena et T.E.R.R.A. de Nina Šenk et Tres ireals Omegues de , la plus marquante.

La spiritualité est le maître mot du concert « Chants de l'âme » mené par l'ensemble et les deux euphonistes de l'. Dans l'église Saint-Genès des Carmes, les structures sonores des frères Baschet remplacent les sonorités habituelles de l'orgue, maintenant la majesté des effets acoustiques caractérisant le vieil instrument, allié à l'effet cristallin des nouveaux. Associés à une inspiration spirituelle et aux bols tibétains (Bardo-Thödoll de  et Noche oscura, madrigale amoroso de Gualtiero Dazzi), et aux voix des , ils sont à l'origine d'un nouveau répertoire musical : The Sphère Part I et II de Thierry Machuel ; Song of the Soul de Kim andré Arnesen ; et les deux créations mondiales de la soirée TSUR de et …plus gracieux… de Dorothea Hofmann.


La connexion de la musique contemporaine avec la nature trouve son plein essor dans la composition de , compositrice ayant passé quatre saisons à enregistrer des arbres pour monter sa création Variations pour des arbres et leurs soupirs. La musique mêle les sons de la nature à l'état brut ou retravaillé en studio, aux sonorités « primitives » de l'instrument en bois – sublime introduction de la violoncelliste explorant de manières percussives tous les éléments de son instrument, de la pique à la volute -, portée par les improvisations inspirées de l'instrumentiste, le discours musical et sonore étant construit grâce à la sélection des textes déclamés par le comédien François Clavier, du Plaidoyer de l'arbre du botaniste Francis Hallé à L'arbre-Monde du romancier Richard Powers, en passant par la voix d'écrivains comme ou d'artistes tel le sculpteur Giuseppe Penone. Grâce à une immersion par des jeux d'ombre de végétaux, cette performance pluridisciplinaire de plus d'une heure, énigmatique et mystérieuse, reste un moment fort du festival.

Crédits photographiques : Image de une © ; Trio Salzedo © Festival Musiques Démesurées ; dans Variations pour des arbres et leurs soupirs © Sophie Brunet

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