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Résidence radieuse pour Jean-Yves Thibaudet à Lyon

Une Turangalîla-Symphonie éclairée et éclairante, sous la direction équilibrée de , un programme chambriste ambitieux et engagé avec . , en résidence toute la saison à L'Auditorium, a fait forte impression.

La Turangalîla-Symphonie a toujours porté chance à l' : nul n'a oublié l'électrisante interprétation en 2008 de Jun Märkl, avec Pierre-Laurent Aimard au piano et Takashi Harada aux Ondes Martenot. Pour inaugurer sa résidence à l'Auditorium, qui se poursuivra en février (Concerto pour piano de Grieg) puis en juin (soirée spéciale Happy Birthday maestro Leonard Slatkin), a choisi le chef-d'œuvre de Messiaen, qu'il a enregistré avec Riccardo Chailly et le Concertgebouw (Decca), et joué à travers le monde avec des bonheurs divers. En 2009, au festival de Verbier, c'était sous la direction brusque et emportée de Charles Dutoit qui se plaçait en porte-à-faux avec le jeu nuancé et coloré du pianiste français, particulièrement sensible à la dimension spirituelle de ce vaste poème de l'amour et de l'extase.

Avec , dont on a souvent loué l'intelligibilité et l'intelligence des options dans Messiaen, l'entente semble idéale. Disons-le sans ambages : les adeptes d'une Turangalîla explosive, tellurique, galactique, à l'énergie cosmogonique, en sont pour leurs frais ! À la manière de Myun-Whun Chung dans son célèbre enregistrement (DG), qui avait reçu l'aval du compositeur, la musicienne finlandaise propose une interprétation plutôt retenue et sobre. D'une remarquable lisibilité, mais sans sécheresse analytique, ni tiédeur. Ce souci de dosage des effets, de transparence dans la restitution de l'architectonique si particulière de l'œuvre, avec ses agrégats thématiques complexes, sa profusion de motifs, cette grande geste unificatrice donnent un éclairage particulier à une écriture d'orchestre dont la somptuosité est parfois contre-productive lorsque chef et orchestre se laissent griser et emporter par la surenchère de décibels. Ici on entend tout, dès l'exposition du thème statue par les cuivres, puissants sans être tonitruants ni massifs, dans L'introduction. Avec sa petite harmonie délicate (superbe clarinettes, envoûtantes et mystérieuses dans le thème fleur), ses cordes soyeuses, à la légèreté de tulle, ses percussions subtiles, l'orchestre apparaît à son meilleur, fort de ses couleurs ravéliennes. Le tissu orchestral étant épuré, allégé, on s'enthousiasme d'entendre aussi distinctement, le célesta, le vibraphone, les triangles, wood-block et autres instruments qui sont parfois sacrifiés à la profusion sonore.

Avec son jeu hédoniste, toujours très détaillé, tendre (Chants d'amour), énergique et fuligineux quant il le faut, Thibaudet épouse cette vision lumineuse. Joie du sang des étoiles, loin du Barnum musical, est irrésistible. Quand au Jardin du sommeil d'amour, édénique, d'avant le péché originel, il est authentiquement planant. Une nouvelle fois, on regrettera simplement la relative discrétion de parfois difficilement audible, à qui l'on préfère la très inventive et présente Valerie Claverie-Hartmann, irremplaçable dans la partie d'ondes Martenot.

Le lendemain, place à la musique de chambre, dans l'enceinte sans doute trop vaste de l'Auditorium, avec sa partenaire, la rarissime (du moins en France) violoniste américano-japonaise , dont les débuts fulgurants avec Zubin Mehta ont été suivis d'interprétations très personnelles, souvent lentes et réfléchies, des grand concertos romantiques. Les deux vibrent à l'unisson : sûreté technique, virtuosité sans ostentation, grand respect du texte, goût pour le fini sonore, même si la violoniste plus instinctive que le pianiste semble prendre plus de risques, en n'hésitant pas à malmener la ligne à des fins expressives (Sonate de George Enesco). Le programme est ambitieux. L'intime Première Sonate de Schumann pour ouvrir le bal, se revêt de légèreté et d'alacrité, y compris dans ses traits les plus véhéments. Passion et sève coulent dans les veines de la si parfaite Sonate de Fauré, et notre duo sait admirablement s'abandonner dans la barcarolle de l'Andante. La Sonate de Debussy avec ses transports, ses délicatesses, ses espiègleries (les pizzicati du dernier mouvement) a tout bon. Et quelle audace d'avoir choisi la rare Troisième Sonate d'Enesco, tellement touffue, dense, intensément roumaine, où ils se montrent particulièrement impliqués, engagés, avec des accents rageurs dans le rhapsodique dernier mouvement !

Devant tant de beauté, d'intelligence, d'humilité devant les œuvres, et d'accomplissement musical, on ne peut que s'incliner. Chapeau bas monsieur Thibaudet !

Crédit photographiques : Jean-Yves-Thibaudet © Andrew Eccles ; © Timothy Greenfield- Sanders

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