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Création à l’Opéra de Rome d’Un romano a Marte de Vittorio Montalti

Première mondiale au Teatro dell'Opera de Rome de Un romano a Marte, le quatrième opéra du talentueux , sur un livret de , mis en scène par sous la direction de .


Inspiré du récit d'Ennio Flaiano, Un martien à Rome (1954), cet opéra pour un acteur, trois voix, orchestre et musique électronique, prend son départ du fiasco du spectacle mis en scène au Teatro Lirico de Milan par la compagnie de Vittorio Gasmann en 1960, pour devenir un voyage onirique, abstrait et halluciné dans le monde de l'un de nos plus grands écrivains du XXᵉ siècle. Pas un hommage à l'inventeur des aphorismes les plus cités d'Italie, mais le drame en musique d'un intellectuel excentrique et libéral, d'un humoriste tourmenté, originaire de Pescara, d'un solitaire timide qui garde son secret désespoir, tout en plongeant  dans la Dolce Vita romaine,  au milieu des fainéants réunis dans les cafés de la Via Veneto, devant les stripteases de Rugantino poursuivies par les paparazzi.

Le rideau se lève dans un théâtre à moitié désert, devant une file de sièges vides, occupés par deux mimes vêtus de combinaisons blanches, agités comme s'ils étaient en proie à un traumatisme. À l'arrière-plan, un grand écran entouré de néons et de divers accessoires. Au centre, une femme de ménage passe son balai autour d'un chariot d'hôpital, sur lequel gît un homme recouvert d'un drap blanc. Est-il mort ? Non, il ne fait que dormir. Knut, le martien aux cheveux jaune canari, descendu du ciel avec son costume rouge et le K brodé sur sa poitrine, lève le voile et le réveille. C'est lui, Flaiano, qui se lève avec ses lunettes à monture noire et carrée, dans son costume gris foncé avec gilet. La danse de la mémoire commence, déconnectée comme dans un rêve, illogique comme un flux continu d'images juxtaposées. Voici l'actrice aux grands yeux noirs et doux, Ilaria Occhini, muse du théâtre et du cinéma des années 50, petite-fille de Giovanni Papini et épouse de Raffaele La Capria, qui apparaît comme une ombre du passé et commence à chanter dans le vide avec la voix mélodieuse du soprano . Voici le narrateur qui intervient par sa voix de parlato, jouant en tant qu'acteur du drame. Et tandis que la ligne vocale va du parlato au parlato intonato, jusqu'au chant mélodique à voix pleine, à travers toute les gammes de vocalité, à l'écran, les images animées de Gianluigi Toccafondo évoquent le fiasco de Milan et une Rome stylisée et puissante, dans laquelle le Tibre et la coupole de Saint-Pierre se succèdent aux enseignes les plus absurdes avec leur promesse irrésistible  de splendeur et  décadence.

Diplômé du conservatoire de Rome en piano et de Milan en composition, avec Ivan Fedele à l'Accademia di Santa Cecilia, maîtrise en musique électronique à l'IRCAM de Paris, Montalti a une formation académique, mais il a écouté toute sorte de musique dont il s'inspire librement. Sa musique est un collage de différents langages, où les fragments de jazz joués par un tambour et la contrebasse se mêlent aux morceaux de rock et s'intègrent à la musique électronique, modulée par le même compositeur, qui amplifie le tissu orchestral.

Dans ce nouvel opéra, né d'un concours du Teatro dell'Opera di Roma en 2014, Montalti continue de mélanger  les divers langages musicaux et les intègre dans des tableau distincts, créant un flux d'images déconnectées, comme s'il changeait de canal pour se fixer sur des situations dramatiques et émotionnelles toujours nouvelles. Pour Un romano a Marte, il a collaboré avec , auteur des trois livrets précédents. De leur rencontre est née cette œuvre subtile et pleine de correspondances, où la musique exalte le texte, qui se plie doucement à elle pour la servir, pour l'anticiper obéissant toujours à une harmonie parfaite. Car si Montalti compose sa partition par assemblages, Compagno suit la voie de l'introspection. Il aurait pu se limiter à un hommage à la figure de Flaiano, exalter l'auteur de plaisanteries célèbres. Au contraire, il a fait un choix dramaturgique fort, insistant sur l'intimité de l'écrivain radical, laïc et libéral, qui a survécu au triangle littéraire Moravie-Pasolini, et à la double hégémonie catholique et communiste. Bien que très spirituel, Flaian en fait était un homme blessé : un grand hypersensible, à la merci d'une douleur lancinante en raison de la maladie de sa fille Lé-lè, frappée d'encéphalite depuis la naissance.

Voici donc qu'au terme de cette œuvre plurielle, au sens étymologique du mot cher à Luciano Berio et repris par Montalti, où coexistent une multiplicité d'œuvres et de techniques qui contribuent à la création de la grande macchina, le témoignage clé est confié à une vidéo poignante, enregistrée il y a vingt ans et encore inédite. Tonino Guerra, le poète scénariste de Fellini, se souvient avec émotion du jour où il découvrit son ami Flaiano assis joue contre joue avec sa fille, en regardant en silence la cour du sous-sol de son appartement à Montesacro. Ainsi, le dadaïsme cède au lyrisme, l'avant-garde se dissout dans le mélodrame et, dans cet opéra hypercontemporain Montalti accomplit le miracle de revenir à la tradition pour la renouveler  de l'intérieur.

Ce n'est pas pour rien que , qui a dirigé avec  précision l'orchestre du Teatro dell'Opera di Roma, a cité le dadaïsme de Marcel Duchamp et l'art abstrait de Robert Rauschenberg pour souligner la continuité de cet opéra avec les grandes expériences de l'esthétique du XXᵉ siècle : « Montalti est un compositeur unique. Il s'appuie sur la tradition de l'orchestre pour redéfinir notre expérience de l'opéra du XXIᵉ siècle. Grâce à ses connaissances académiques, à sa virtuosité technique et à sa modernité extrême, il a réussi à créer une œuvre qui non seulement nous intéresse énormément aujourd'hui, mais qui, dans cinquante ans, continuera à être mise en scène comme un classique du théâtre musical de XXIᵉ siècle ».

 

Crédits photographiques : © Teatro dell'Opera di Roma

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