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Ton Koopman éclaire l’orgue de la chapelle royale de Versailles

La nouvelle collection audiovisuelle Château de Versailles Spectacles propose le premier volume d'une série consacrée à l'orgue de la chapelle royale. , grand spécialiste de l'art baroque offre ici une vision personnelle, comme à son habitude, en une approche reconnaissable entre toutes.

On connait toutes les cordes musicales attachées à l'arc de . En matière d'orgue, le monde musical a retenu ses intégrales Bach, Buxtehude, et de nombreuses autres productions toutes aussi passionnantes les unes que les autres. Le programme est ici en parfaite adéquation avec le style même de cet orgue, construit dès 1710. De nombreuses transformations, à part le somptueux buffet, ont finalement abouti dans une époque récente à la reconstruction de cet instrument dans son état original. Plusieurs compositeurs que l'on entend ici furent eux-mêmes organistes du roi à cette tribune : Clérambault, , Daquin… Ils représentent là l'idéal pour mettre en valeur les qualités acoustiques de cette chapelle et de son orgue.

Dès les premières mesures du grand Plein-jeu de la Suite n° 1 de Clérambault, montre sa fidélité à ses théories sur le toucher à l'orgue, instrument du son continu qu'il est bon selon lui d'interrompre souvent par l'ajout de petits silences insérés entre les notes. La lecture d'une telle pièce prend alors une autre allure, assez étonnante. Il nous dit : « le son de l'orgue est trop long, celui du clavecin trop court, alors il faut s'adapter et compenser… ». On se souvient d'ailleurs de cette approche particulière dans une version des Messes de Couperin enregistrée il y a de nombreuses années (1978) sur l'orgue historique de Houdan (Telefunken). Les nombreux versets des deux Suites de Clérambault permettent l'écoute de divers jeux solistes et mélanges prévus par l'auteur. L'interprète ne s'en écarte guère sauf parfois des jeux de fond mêlés aux anches, comme dans le Caprice sur les grands jeux qui termine son livre d'orgue. Viennent ensuite trois Noëls de Daquin, qui fut le maître en la matière. Ce sont des variations sur les grands jeux à partir de mélodies populaires, dont s'empare avec panache et fougue Ton Koopman, complètement libéré et conquis par ce tourbillon joyeux incarnant la fête de la nativité. La famille Couperin est évoquée avec Louis, premier grand Couperin , avec trois extraits de son livre d'orgue, enregistrés de manière libre et originale. François, dit Couperin « le grand », organiste du roi à Versailles et qui inaugura cet instrument en 1711, compose deux messes pour orgue géniales, dont cette Tierce en taille, écrite pour l'élévation et dont on s'émerveille encore de l'intense émotion qu'elle procure à un auditeur de notre temps.

Après toutes ces musiques flamboyantes au service des couleurs vives de l'orgue royal, Ton Koopman se risque à jouer une pièce de Bach, rien que pour voir… Au départ le choix s'était porté naturellement sur l'œuvre sans doute la plus française du cantor : la Pièce d'orgue en sol majeur BWV 572. Malheureusement, l'éditeur nous informe que l'accord fluctuant de l'orgue, pour des raisons de température montante en ce printemps 2019, n'avait pas permis un enregistrement correct de cette pièce. De plus, les instruments baroques français sont accordés suivant le principe du tempérament mésotonique plus ou moins adouci. Ce système s'adapte guère aux œuvres de Bach, ce qui est normal, ce genre d'instrument n'ayant pas été prévu pour cela. On connait les histoires et les ajustements réalisés avec Gottfried Silbermann pour obtenir un nouveau tempérament inégal, calculé autrement et compatible au discours nouveau du cantor. C'est peut-être aussi ce point ce qui a conduit à renoncer à l'enregistrement de cette pièce. Ton Koopman propose toutefois en remplacement un choral de l'Orgelbüchlein Ich ruf zu dir, bien connu des pianistes grâce à diverses transcriptions. La tonalité de fa mineur confirme la chose, rehaussée par un rang de tierce qui souligne encore le phénomène, expérience courageuse et périlleuse de la part de l'organiste…

Ces approches originales sont finalement passionnantes et ne laisserons personne indifférent. Ton Koopman par son énergie et la mise en pratique du « bon goût français », sait faire rayonner de mille feux cet orgue d'exception porté par une acoustique digne d'une cathédrale, telle que la souhaitait Louis XIV en personne. La prise de son est parfaitement équilibrée entre la précision des jeux et la belle ambiance du lieu, ce qui ne fut pas toujours le cas dans quelques enregistrements antérieurs, souvent trop lointains. On attend maintenant avec impatience les volumes suivants de cette collection naissante, qui promet de belles surprises à venir. L'orgue classique français a encore de beaux mystères à nous livrer, ce disque le montre déjà.

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