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Zafraan et Court-Circuit ensemble à Cortot

Avec ce concert « Outre-Rhin », co-produit par les scènes de Berlin et de Hambourg, Court-Circuit poursuit sa politique d'échange trans-frontalière, invitant sur la scène de Cortot cinq musiciens de l'ensemble berlinois Zafraan, pour une soirée de haute tenue.


C'est le chef qui est au pupitre dans un programme des plus exigeants, affichant compositeurs français et allemands. De la berlinoise Sarah Nemtsov, ....beredtes Schweigen (« Silence éloquent ») est une pièce aussi courte qu'intense, intranquille pourrait-on dire, balançant entre irruptions violentes et plages suspensives au bord du silence. Le discours tendu est rehaussé d'une percussion musclée – superbe Minhye Ko – tandis que divers solos viennent ponctuer la trajectoire, tel celui, spectaculaire, de l'alto (énergétique ). Une très belle coda tire les sonorités de l'ensemble vers un effet quasi électronique.

Satka (« groupe de six » en sanscrit) du regretté joue tout au contraire sur le continuum et la fluidité. C'est une œuvre redoutable, un défi pour les six instrumentistes embarqués dans ce tourbillon fantasque autant que brillant, dont l'énergie cinétique fascine. Bertrand met à l'œuvre l'écriture des processus pour entretenir un mouvement quasi obsessionnel que réamorce sans cesse le geste instrumental. Les doublures-hybridations des timbres sont à l'œuvre, celle du piano et du marimba notamment, engendrant une méta-sonorité. Il faut l'engagement de chacun et la conduite experte de pour mener à son terme une telle aventure.

Johannes Boris Borowski, berlinois lui aussi, écrit Wandlung (« Transformation ») en 2010, pour les 85 ans de Pierre Boulez. L'écriture discursive de ce dernier s'y entend, où s'exercent une articulation très soignée et une précision du détail, sans toutefois accéder à la séduction sonore du maître ; la pièce dense, aux contours un rien anguleux, est desservie par l'acoustique très/trop fidèle de Cortot et ne nous convainc pas pleinement.

L'Afrique d'après Tiepolo pour piano et ensemble qui consacre la soirée est issu des Continents d'après Tiepolo, un cycle de quatre pièces conçu par entre 2005 et 2016. Le compositeur s'inspire du décor de voûte de l'escalier d'honneur de la résidence de Würzburg que le peintre italien réalisa entre 1752 et 1753. L'intention de Dufourt n'est pas de rechercher des équivalences entre couleurs picturales et sonorités instrumentales. Il s'agit davantage, nous dit-il, de « faire sortir le fond des choses », d'évaluer des lignes de forces (mouvement, tension, énergie) que la musique saura traduire à travers le matériau : telles ces colonnes d'accords somptueuses qui débutent la pièce sous les doigts du pianiste – impressionnant Clemens Hund-Göschel. Il est bientôt rejoint par le vibraphone (avec moteur) et son ample réverbération qui semble agir comme un prisme déformant sur les sonorités instrumentales. Le compositeur ne sollicite que huit musiciens mais plusieurs instruments par famille (flûte piccolo, cor anglais, clarinette basse). La pièce, qui s'inscrit dans un temps long, procède par aplats de couleurs relevant d'alliages instrumentaux rares qui interagissent avec l'aura résonnante de la percussion et se modifient à mesure : une œuvre de maître, superbement restituée par les musiciens, qui met notre écoute sous hypnose.

Crédits photographiques : © Sebastian Solte ; Escalier du palais de Würzburg © akg-images / Bildarchiv Mondheim / Ircam

 

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