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Esa-Pekka Salonen apollinien dans Mahler

Coïncidence surprenante, c'est en 1983 avec cette Symphonie n° 3 de qu' fit ses débuts internationaux à Londres, en remplacement de Michael Tilson Thomas… 35 ans plus tard, la fibre mahlérienne du chef est toujours aussi ténue, ce dont témoigne cette interprétation, magistrale… d'une grandiose et étonnante froideur.


Cette symphonie est une œuvre gigantesque, monstrueuse où Mahler nous propose plus qu'un monde, mais un univers, voire une nouvelle cosmogonie ! Cette immense partition n'est pas née du souhait délibéré de faire grand, mais d'une formidable poussée créatrice telle qu'un compositeur n'en ressent pas souvent dans son existence. « Ma symphonie sera quelque chose que le monde n'a pas encore entendu… toute la nature y prend voix et raconte des secrets si profonds que l'on ne les pressent peut-être que dans un rêve ! »  Toute inspirée par la Nature consolatrice, chargée d'amour, elle répond à un plan d'ensemble, qui est sans doute le plus ambitieux jamais conçu par un symphoniste. Partant de la matière, des rochers, Mahler y entrevoit déjà une immense épopée qui gravira une à une les différentes étapes de la Création pour parvenir jusqu'à l'Homme, avant de s'élever jusqu'à l'Amour universel conçu comme transcendance suprême. Cette pénétration de la musique et de l'Eros dans la matière met en branle le Chaos, nous ramenant aux mythes orphiques de la Création du monde. Œuvre-Monde, elle se compose de six mouvements : « Le réveil de Pan, l'été arrive, ce que me content les rochers, les fleurs, les prés, les animaux de la forêt, la nuit (l'homme), les cloches du matin (les anges) et enfin l'Amour ».

Reconnu pour la précision de sa direction et pour ses interprétations collant à la partition derrière laquelle il s'efface volontiers, se voit aussi souvent reprocher une certaine distanciation et froideur abusives dans son abord du répertoire post-romantique. C'est dans ces mêmes travers que retombe, ce soir hélas, cette interprétation mahlérienne constamment taraudée par un étrange sentiment d'incomplétude… D'une perfection toute apollinienne dans sa forme, on regrette que le chef ait, une fois encore, préféré le trait à la couleur en oubliant Dionysos, faisant de cette monumentale Symphonie n° 3, un brillant exercice de direction et d'orchestre, bien pauvre en émotion.

Le premier mouvement où Mahler propose l'éveil et la fécondation de la matière par l'esprit créateur bénéficie d'une lecture chaotique bien venue, marquée par une entame fracassante des cuivres, des cordes graves et des percussions scandant une marche funèbre d'où émerge, par instant, une mélodie aux allures populaires conduite par une petite harmonie rutilante. en majore à l'envi les contrastes et les ruptures au risque d'altérer la continuité du discours. Le second mouvement Tempo di Menuetto s'adresse au règne végétal, sa mélodie pastorale est portée par des cordes très lyriques et des vents irréprochables de bout en bout. Insouciante certes, on l'aurait préféré plus dansante, plus viennoise peut être…Le troisième mouvement rend hommage aux animaux de la forêt, tout entier peuplé de bruissements comme autant d'occasions pour le chef de faire valoir, par la clarté de sa direction, la multitude de timbres utilisée dans la riche orchestration mahlérienne, mais l'ironie y est cruellement absente… Seul le superbe solo du cor de postillon apporte un peu d'émotion dans son lointain dialogue avec l'orchestre.

L'apparition sur scène du Chœur et de marque le début de la seconde partie de la symphonie enchainant les trois derniers mouvements. Tiré d'« Ainsi parlait Zarathoustra » de Nietzsche le lied « O Mensch! » marque l'apparition de l'homme dans cette large fresque. Si le chant est magnifique par la pureté de la ligne, la diction et la puissance, il faut bien reconnaître que la profondeur, le mystère font défaut dans cette page normalement dévolue à une contralto. Point de réserves en revanche dans le cinquième mouvement où le Chœur d'enfants et de femmes de l' se montre à la hauteur de l'enjeu (il s'agit de simuler les anges !) par sa fraîcheur et sa naïveté touchantes avant que l'Adagio final ne laisse place aux sublimes cordes dans une péroraison éthérée qui manque là encore un peu d'élévation (n'est pas Abbado qui veut !) précédant une coda cataclysmique et glorieuse regroupant toutes les forces orchestrales dans un grand crescendo marquant l'apothéose terminale dans l'Amour.

Crédit photographique : Esa-Pekka Salonen. © Bild Imago Images

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