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L’enfant inouï à la Maison de la Musique de Nanterre

Le titre est réjouissant, l'ouvrage ne l'est pas moins. L'enfant inouï est un conte musical pour le jeune public de , tiré de L'extraordinaire garçon qui dévorait des livres d'Oliver Jeffers : entre fantastique et éducatif.

Henri adore les livres mais pas au sens où on l'entend habituellement. Il les mange, les dévore : un mot d'abord, puis une phrase, une page et le livre entier, tous les livres, de tous les genres, de tous les formats et sur tous les thèmes. Plus il en mange, plus son cerveau grossit et plus il devient intelligent. Mais sa boulimie le rend bientôt malade, son corps ne peut plus assimiler et son cerveau non plus. Tout est confus dans sa tête et il se met à dire n'importe quoi. Il faut absolument qu'il arrête de manger des livres. Alors, désœuvré, il se met à les ouvrir et à les déchiffrer… Il guérit et il grandit.

C'est , actuel directeur du Théâtre de Sartrouville-CDN et co-producteur du spectacle, qui signe le livret (d'après le livre pop up de Jeffers) et la mise en scène d'un ouvrage qui balance entre opéra de poche et théâtre musical. La proposition scénique est risquée, celle de placer les quatre protagonistes sur le plateau sans aucun déplacement de leur part durant les cinquante minutes du spectacle. La flûtiste (et toutes ses flûtes) et le clarinettiste (jouant également la clarinette basse) sont debout et de part et d'autre du décor, un plan incliné en bois recouvert d'un tissu blanc. Le percussionniste domine quant à lui le plateau en fond de scène, au centre d'un dispositif où trônent principalement la cymbale, les peaux et le vibraphone, ainsi que des petites percussions, claves, flûte à coulisse, piano-jouet, castagnettes, chimes, sifflet… qui viennent colorer le propos. Quant au personnage principal, Henri, incarné par la pétillante en salopette marron, il émerge d'une trappe ménagée au centre de la structure de bois, d'où il s'élève plus ou moins au fil des scènes, sans pour autant modifier sa position d'origine. Le rythme scénique est dévolu aux lumières (Rodolphe Martin) et à la vidéo joliment colorée et travaillée de Loïc Drouglazet, une vidéo « zénithale » précise-t-il, pour éviter les ombres portées. Le déferlement sur la page blanche des lettres qu'avale Henri à grandes goulées est drôle, tout comme le ballet des poissons dans son contexte très immersif.

Dans cette « histoire bizarre », transgressant les frontières du réel, il n'y a qu'un personnage, qui parle autant qu'il chante, mais bon nombre de présences virtuelles, des voix off (le narrateur) entendues à travers les haut-parleurs, qui relèvent de l'électronique convoquée par le compositeur . Le traitement de la voix parlée, entre comique et dramatique, évoque les adultes (le père, la mère, etc.) qui gravitent autour de l'enfant. Les effets de réverbération, démultiplication, et le chœur virtuel (la voix tout terrain de stratifiée) qui s'entend au centre de l'histoire, modèlent un espace mouvant qui sert la dimension onirique au même titre que la vidéo.

La partie musicale de est rien moins qu'exigeante, liant la voix et les trois instruments dans une écriture complice, inventive et souvent virtuose. La performance tout en fraicheur et vitalité de , à laquelle la partition ne laisse pratiquement aucun répit, est spectaculaire. Dans la première partie, la plus réussie, c'est le registre colorature de la soprano, soutenue par les lignes instrumentales et la luminosité du vibraphone, qui est mis en valeur, façon Reine de la Nuit, avec « tour de gosier et trilles » pour traduire l'hystérique boulimie d'Henri. Pour le reste, la soprano s'en tient à une voix blanche d'enfant, pratiquement sans vibrato, un rien malmenée par les écarts fantasques de la ligne vocale. Elle est en revanche irrésistible dans les « chansons » qui jalonnent la partition (« Je suis une vedette ») où la rythmique des peaux et la scansion des slaps de la clarinette prennent des tournures plus jazzy. Cuniot excelle dans la manière de jouer avec les temporalités, usant d'une main d'expert des « boucles » (issues des techniques électroacoustiques qu'il connait bien) qu'empruntent autant la voix que les instruments, pour suspendre momentanément le flux de l'action et entretenir le suspens. Embarqués dans la dramaturgie comme notre soprano, , et sont des partenaires exemplaires d'un spectacle dans lequel « le sens et le son ne font plus qu'un », comme le souligne le compositeur.

Crédits photographiques : © Elizabeth Carecchio

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