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La Coppél-I.A 2.0 de Jean-Christophe Maillot à Monaco

Jean-Christophe Maillot se saisit du très classique Coppélia de pour le propulser dans le XXIᵉ siècle à l'ère de l'intelligence artificielle. Un retour spectaculaire au ballet narratif pour le directeur des et sa compagnie.


Depuis le succès international de La Mégère apprivoisée, créée pour le Bolchoï il y a cinq ans, n'était pas retourné au genre narratif. Pourtant, cet amoureux du style classique et des pointes, est particulièrement doué pour raconter des histoires. Après avoir revisité de nombreux classiques du répertoire, de La Belle au bois dormant à Casse-Noisette en passant par Roméo et Juliette ou Le Lac des cygnes, le chorégraphe s'attaque ici à Coppélia, ballet créé en 1870 par Arthur Saint-Léon sur une musique de . Le défi est de taille car l'histoire célèbre de la poupée Coppélia, racontée avec force pantomime et ballet d'automates, semble un morceau d'anthologie fort éloigné des enjeux contemporains.

Le coup de force est justement de propulser cette œuvre patrimoniale dans le XXIᵉ siècle en abordant la thématique, bien connue de la science-fiction mais peu traitée par le ballet, de l'intelligence artificielle. Un glissement suffit. Coppélia, d'automate en bois devient une femme artificielle conçue par le savant Coppélius, pygmalion moderne, amoureux de sa créature à la beauté idéale. Le reste, à peu de choses près, se répète. Frantz, fiancé à Swanilda, tombe amoureux de Coppél-I.A et rompt du même coup ses fiançailles avec Swanilda. Entourée de ses amies et de son confident, Lennart, Swanilda pénètre dans l'atelier de Coppélius, s'amuse avec les prototypes qui ont remplacé pantins et marionnettes, et se fait passer pour Coppél-I.A. Frantz reconnaît son erreur et les fiançailles seront célébrées dans la joie.

Allant au-delà de cette trame d'origine, imagine une fin beaucoup plus sombre en écho aux enjeux de la robotique. Coppél-I.A, qui a fait l'expérience du sentiment amoureux, puis de la déception causée par l'abandon de Frantz, prend soudain l'ascendant sur son créateur et, dans un élan sauvage pour s'émanciper, tue Coppélius de ses propres mains.

Rapport du créateur à la créature, de l'homme à la machine, ère de la robotisation : de Pygmalion à Frankenstein, en passant par L'Ève Future de Villiers de l'Isle-Adam, Coppél-I.A fourmille de références et aborde des problématiques intemporelles que l'intelligence artificielle ne fait que rendre plus prégnantes.

Pour la musique, a fait appel à son frère, le compositeur Bertrand Maillot. Celui-ci a imaginé une bande originale composée d'extraits de la musique de Delibes remaniés, ainsi que de morceaux nouveaux composés à l'aide d'instruments virtuels et d'effets vocaux. La partition trouve le bon équilibre entre les références à l'œuvre originale et la création contemporaine qui permet une incursion dans la modernité.

Les décors et costumes, imaginés par Aimée Moreni, renvoient à un univers futuriste épuré, voire aseptisé, composé de cercle concentriques blancs dans le premier acte, puis noirs dans le second. L'écran circulaire au fond de la scène permet de créer des effets de flous et d'ombres, qui suggèrent l'ère nouvelle d'où surgit Coppél-I.A. Les costumes, dans une symphonie de blanc, renvoient à la thématique des noces de Frantz et Swanilda.


Dans sa chorégraphie, Jean-Christophe Maillot soigne le rythme. Il ménage des mouvements de groupe, où il insuffle avec brio énergie et touches d'humour, des confrontations entre les protagonistes, et réserve également des pauses rythmiques pour laisser le temps à Coppél-I.A d'opérer sa métamorphose. La gestuelle mécanique et robotisée de la créature a été étudiée avec soin par Lou Beyne, dont le corps aux proportions parfaites est moulé dans une combinaison futuriste translucide et brillante. L'évolution de Coppél-I.A au cours du ballet et sa relation avec le trouble Coppélius, savant à la fois brillant et pervers, est particulièrement intéressante. D'un robot inerte, elle expérimente les passions humaines et parvient finalement à s'émanciper de son créateur, dans une dernière vision inquiétante, où la victoire de la machine sur l'humain semble possible. Le duo formé par Frantz et l'impétueuse Swanilda est vif et charmant. A l'opposé de sa rivale Coppél-I.A, la malicieuse et mutine Swanilda, incarnée par , respire la joie de vivre. Elle parvient à l'emporter sur la froide Coppél-I.A et à regagner l'amour de Frantz. , danseur à l'énergie brute et débordante, incarne un Frantz à la fois insouciant et spontané, troublé par la beauté de Coppél-I.A mais effrayé aussi par cette femme artificielle. Chez Maillot, la femme, le vivant, l'amour triomphent encore sur la machine.

Jean-Christophe Maillot livre ici une vision puissante de l'œuvre de Delibes, ouvrant la danse aux enjeux de l'intelligence artificielle, tout en rappelant son attachement à l'art, au corps et aux émotions dans un monde où le numérique a tendance à déshumaniser le rapport à l'autre.

Crédits photographiques : © Alice Blangero

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