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À Tourcoing, François Xavier Roth : un vibrant hommage à Jean-Claude Malgoire

Un peu moins de deux ans après le décès du génie du lieu, Jean-Claude Malgoire, le nouveau directeur musical et artistique désigné, , reprend le flambeau à la tête de l'Atelier Lyrique de Tourcoing. Il propose en guise de première collaboration, à la tête de La Grande Écurie et la Chambre du Roy, un concert inaugural placé sous l'insigne mozartienne.


est un homme très occupé : l'agenda de sa nouvelle désignation à la tête de l'Atelier devra trouver ainsi place parmi bien d'autres activités liées à ses actuels engagements internationaux : outre une carrière assez intense de chef invité par de prestigieuses phalanges, faut-il rappeler ses actuelles fonctions à Cologne, où il est generalmusikdirektor, à la tête à la fois de l'opéra et de l'Orchestre du Gürzenich, où à Londres – comme chef invité principal du London Symphony orchestra ?
En France, on le sait, Roth a fondé dès 2003 l'ensemble à géométrie et à instrumentarium variables « Les Siècles » abordant de multiples répertoires sous l'angle d'une philologie organologique pointue et d'une interprétation se voulant « historiquement informée ». En ce sens, et La Grande Écurie et La Chambre du Roy ont fait œuvre de pionniers, notamment en l'Atelier Lyrique de Tourcoing.

C'est Mozart qui est à l'honneur pour ce concert, tout d'abord pour une Symphonie n° 39 plus palpitante que monumentale. L'approche orchestrale y est pavée des meilleures intentions, sous le signe d'une évidente doxa philologique (diapason plus bas, intrumentarium à l'ancienne – avec cordes en boyau, cuivres naturels, mailloches dures actionnant des timbales explosives). L'interprétation rappelle à bien des égards les partis-pris d'une théâtralité assumée telle que jadis explorée par un Nikolaus Harnoncourt dans ses multiples versions discographiques : introduction adagio du temps initial assez haletante et cravachée, pulsation irrésistible des allegros extrêmes, découpe élégante des phrasés finement articulés de l'andante con moto, menuet quasi swinguant avec en total contraste, un trio plus badin et rustique auréolés du timbre irrésistible des clarinettes… Il est dommage que cette approche directe, dramatique et roborative soit quelque peu ternie par le manque de cohésion et d'ensemble de certains pupitres de cordes (premiers violons, violoncelles), ce qui ne pardonne pas dans l'acoustique aussi sèche que précise et impitoyable du Théâtre Raymond Devos.

Au fil de la seconde partie, consacrée à des extraits de la trilogie Da Ponte, les choses s'améliorent sensiblement. L'ouverture des Nozze di Figaro, incisive dans ses attaques, est pétillante et virevoltante, tandis que celle de Cosi fan tutte laisse place à l'irrésistible babil de la petite harmonie malgré quelques scories. Chef et orchestre offrent également un bel écrin ou des répliques attentives au quatuor vocal invité.

Trois des quatre solistes sont des artistes collaborateurs habituels de l'Atelier. campe dans son « Non piu andrai » un Figaro ironique et courroucé, exaspéré par les forfanteries et velléités amoureuses de Cherubin, il est juste légèrement prosaïque par certaines attaques un peu « aboyées » mais campe par ailleurs, un Don Giovanni (trop ?) éminemment séducteur dans le duo avec Zerlina, « Là ci darem la mano », et incarne également un Don Alfonso d'une poésie un brin désabusée dans les quelques extraits retenus de Cosi fan tutte.
Stéphanie d'Oustrac avec son timbre pulpeux et sa large tessiture de mezzo soprano, avec un grave opulent et des aigus parfaitement « ouverts », donne deux aspects contrastés de son art, entre la candeur quasi adolescente de Cherubin (« Voi che sapete ») et le dramatisme troublé d'une Donna Elvira de feu, stupéfiante de vocalité incarnée (« Mi tradì »).
donne une version touchante et sincère, juste en peu timide dans son énoncé liminaire, du redoutable « Dove Sono » des Nozze, mais campe une Zerlina piquante jouant la double carte de l'innocence et de la manipulation. Ces solistes se croisent et se retrouvent par exemple pour un subtil et suave duo de la lettre , la « Canzonetta sull'aria » des Nozze, ou pour le sublime trio « Soave sia il vento » de Cosi fan Tutte, en compagnie de .
Le jeune ténor voit pour l'instant et à juste titre son nom plus souvent associé au répertoire baroque ; il a pourtant l'exacte vocalité et la tessiture pour devenir dans les prochaines années un ténor mozartien de premier rang. Toutefois l'aigu pourrait être plus péremptoire et l'incarnation plus poussée, le chanteur belge étant parfois encore trop le nez dans la partition pour assumer une théâtralité plus aiguisée. Le « Dalla sua pace » du placide Don Ottavio, dans Don Giovanni apparaît quelque peu protocolaire, par contre l'air « Un' aura amorosa » extrait de Cosi fan Tutte lui permet d'incarner un Ferrando plus assumé et impliqué, toujours vocalement irréprochable malgré une relative neutralité expressive.

L'ensemble des solistes ponctue cet agréable florilège mozartien par le quatuor « Non ti fidar » extrait de Don Giovanni avant que ne termine la séance d'une courte allocution de remerciements aux autorités et au public du lieu et surtout ne rende un hommage vibrant à son prédécesseur en redonnant, tel un portrait en musique à sa mémoire, et en guise de bis une ouverture des Nozze d'avantage encore libérée et extravertie.

Crédits photographiques : François-Xavier Roth © François Séchet ; Stéphanie d'Oustrac © Jean-Baptiste Millot ;  © Senne Van der Ven

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