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Un double Così fan tutte à Nice

clôt sa Trilogie Mozart/Da Ponte avec un Così fan tutte qui rassemble les fondamentaux des deux volets précédents dans deux temporalités différentes.


S'il est un reproche qu'on ne saurait faire à , c'est celui de la transposition puisque son Così fan tutte se joue en costumes d'époque (blanc) dans le décor au classicisme affiché, bien que rongé aux entournures, d'un château XVIIIe. Beaucoup plus intéressant : il se joue aussi en costumes contemporains (noirs) dans le cadre d'un tournage de film. Ou plutôt d'une série télévisée au budget réduit, le réalisateur se voyant contraint d'endosser le costume de Don Alfonso : ça tombe bien puisque le tortueux personnage (censé rappeler plus d'un grand nom de l'industrie cinématographique) va pousser les comédiens de son film à des expérimentations sentimentales qui n'étaient pas dans le scénario de départ, mais qui sont bien celles du livret de Lorenzo da Ponte. Les temporalités vont donc s'interpénétrer.

A courir ces deux lièvres à la fois, le metteur en scène prend beaucoup de risques. Le spectacle, complexe, pas toujours immédiatement lisible, n'est de fait de repos pour personne. Benoin avoue n'avoir vu que l'assez banale version Chéreau (montée, confessait son auteur, à seule fin de savoir s'il avait encore envie de faire de l'opéra !) et l'impressionnante version Honoré, la seule à avoir résolu la problématique du travestissement. Le Così de Benoin s'avère stimulant pour ceux-là mêmes qui croyaient tout savoir de cet opéra aux inépuisables non-dits.

En 2019, il avait installé son Don Giovanni dans un lit qui occupait tout le plateau. Ses Noces de Figaro de 2018 étaient confiées à la mémoire d'un Chérubin âgé. Le rideau de son Così se lève sur le décor desdites Noces : le château des Almaviva, marqueté, lambrissé, veillé par de hautes persiennes souvent closes, mais envahi cette fois par des rampes de projecteurs, des fonds verts, des tables de maquillage et de montage, des câbles, des perches, des caméras ! Tout l'attirail télévisuel nécessaire au détournement d'un livret du XVIIIᵉ vers un Loft Story de sinistre mémoire. Pour un conséquent travail produit en direct par un véritable technicien de l'image (Paulo Correia), visible en surplomb du plateau, sur un écran de cinéma. Le tout, d'un esthétisme séduisant (la claire-voie des persiennes !) culmine lors d'un Per pietà de toute beauté : fonds marins,  « coulures de Ferrando » sur les murs, fuite éperdue de Fiordiligi, sous un grand escalier à la Claus Guth, dans l'obscurité du fond de scène.


Naviguant entre les époques, les costumes, régulièrement perturbés par les « cut ! » autoritaires du réalisateur (procédé qui correspond finalement bien à la douche froide du retour des récitatifs), les chanteurs ont fort à faire dans un tel contexte. Dommage qu'on ne les sente pas des mieux soutenus de la fosse par Roland Böer. Au-delà d'une ouverture parfaitement sertie, le chef impose à l', une allure de « folle journée à tout prix », qui, jusqu'à la reprise finale ratée du Il core vi dono, n'aura pas été sans dégâts collatéraux. Difficile alors de s'extasier en toute quiétude sur une distribution encore bien verte, où s'imposent réellement la Despina charnue d' en assistante du réal, et la Dorabella fruitée de (même privée de E amore un ladroncello). Les deux garçons sont quelque peu sous-dimensionnés : manque encore de panache en Guglielmo tandis que peine à imposer complètement Un'aura amorosa mais aussi Tradito schernito (Ah, lo veggio se voyant une nouvelle fois censuré). , le plus juvénile des Alfonso jamais vus, doit encore arrondir le brut de son émission. La Fiordiligi d' interroge : un timbre comme vieilli à certains moments, des graves qui en décousent, poitrine aidant, démentis aussitôt par des aigus splendides lors de moments vraiment magiques (le quatuor du mariage), le tout dénotant une manifeste difficulté à unir les registres. L'on louera en revanche sans réserves un engagement ravageur qui la conduit à chanter dans toutes les positions (ceci expliquerait-il cela ?): sur le dos, et même à plat ventre en fin de Come scoglio !

La lecture du pédagogique journal de l'Opéra de Nice ose encore titrer : « Un opéra sur l'infidélité féminine » et se conclure par « Tout se termine bien ». Cela fait belle lurette que les metteurs en scène ont compris que la musique de Mozart nous dit que, sous le « tutte » du titre, se cache un « tutti » qui ne pouvait certainement pas dire son nom à l'époque. Benoin a entendu cela lui aussi. Son spectacle se conclut sur une dévastation : les femmes finissent à terre au terme d'une très chéraldienne farandole, dérisoire dans sa tentative de retissage des liens amoureux encore en vigueur trois heures plus tôt. Image qui réactive le souvenir du constat de dans L'Opéra ou la défaite des femmes. Au fait, à quand la réédition de cet ouvrage auquel on pense à chaque nouvelle version de Così fan tutte ? Un ouvrage aussi absent des librairies qu'il est présent dans les mémoires…

Crédits photographiques : © Dominique Jaussein

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