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Sous les baguettes d’Adélaïde Ferrière

Honneur aux claviers avec le vibraphone et le marimba, mais pas seulement… Dans ce premier album, la jeune percussionniste donne la mesure de son geste et de la finesse de son oreille musicienne en interprétant les six pièces de son programme mêlant « classiques » du répertoire et belle(s) découverte(s).

Formée très jeune au Conservatoire National de Paris, est révélation soliste instrumentale des Victoires de la musique en 2017. En 2018, elle rejoint le Trio K/D/M aux côtés de l'accordéoniste et du percussionniste et fonde le , en résidence à la Fondation Singer-Polignac, avec les percussionnistes Emmanuel Jacquet et Rodolphe Théry.

C'est avec qu' ouvre et referme son album, nous mettant d'emblée au cœur du son et de la combinatoire rythmique avec Rebonds A dont elle conduit le processus avec une stabilité intérieure souveraine. Elle fait valoir la sensualité de la matière percutée dans Rebonds B, moins tellurique qu'incandescent (une véritable « danse du feu » sous ses baguettes), entre transparence des bois clairs et opacité des peaux. Psappha, pierre d'angle du répertoire des percussionnistes, laisse un espace à l'interprète qui doit choisir ses instruments pour vivre de l'intérieur ce rituel étrange. Jouissance du timbre et jubilation du rythme ressortent d'une interprétation habitée, jusqu'à la coda superlative.

Une dimension narrative s'instaure sous le geste tout à la fois caressant et agressif de la percussionniste dans Moi, jeu… de , une pièce aussi féline qu'implacable qui éprouve les lames du marimba jusqu'aux limites de leur capacité timbrale. On pourrait, comme pour un pianiste, parler du « toucher » d'Adelaïde Ferrière, rond et perlé lorsqu'elle aborde les Loops II et IV de , au vibraphone d'abord, puis au marimba. Mettant à l'œuvre l'énergie cinétique et le rouage des processus, le jeu de l'interprète est aérien et la sonorité d'une homogénéité sans faille.

Omar (1985) de , écrit en hommage au percussionniste Maurizio Ben Omar, est un diptyque, comme la majorité des pièces solistes du compositeur à cette époque. Il y envisage le vibraphone sous différents angles d'écoute. Des figures/personnages se profilent dans un premier mouvement plutôt théâtral, aux sonorités crues pour mieux faire valoir la volupté et l'ondoiement de celles du second, soumises aux vitesses variables du moteur (ondes vibratoires et réverbération un brin connotées relèvent d'une certaine ironie donatonnienne). L' interprète y sollicite l'écoute aigüe, testant sous différentes qualités de baguettes, les couleurs et les allures du son vibré qui nous évoque parfois le gamelan.

Le choix d'After Syrinx II pour marimba est judicieux, renouvelant une fois encore le rapport, intimiste ici, de l'interprète à son instrument, via une écriture singulière, celle du Britannique Richard Rodney Bennett. Le compositeur aime revisiter les œuvres de l'héritage, faisant une libre « lecture » du célèbre Syrinx pour flûte de Debussy où la musique effleure, s'attarde, agrandit, brode autour, s'éloigne et revient… Adélaïde Ferrière aborde avec beaucoup de tact, d'élégance et de sensibilité cette exploration aussi singulière que poétique du chef d'œuvre debussyste d'où le marimba ressort magnifié.

 

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