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Damien Jalet sculpte les corps à Chaillot

Avec Vessel, le chorégraphe et le sculpteur japonais Kohei Nawa racontent l'incroyable épopée de l'évolution, se servant des corps des danseurs comme d'une matière brute, malléable à l'envie. Étrange et fascinant.

Scène plongée dans le noir. Puis lumières sur les corps, imbriqués, entremêlés. On distingue péniblement un îlot blanc, entouré d'eau. Mais est-ce que ce sont des corps ? On ne sait pas bien, l'œil doit s'habituer à l'obscurité. Il devine des membres nus, mais leur entrelacement est tel que l'on ne sait pas à combien de corps ils appartiennent. Rien d'humain ne subsiste dans ces amas.

Petit-à-petit, les petits groupes s'animent, une créature semble accoucher d'une autre. Les organismes multicellulaires s'autonomisent et deviennent unicellulaires. Ils vont s'animer progressivement, se mouvoir comme des batraciens, puis sortir de l'élément liquide pour conquérir la terre ferme. Se mêlant à la glaise, ils vont finalement prendre forme humaine, à la toute fin de l'heure de spectacle.

Ce qui frappe, c'est la disparition des têtes et visages des danseurs. Réalisant une prouesse technique, est parvenu à travailler ces corps, malléables à l'extrême, et à leur imposer de rentrer la tête, cachée par les coudes pliés. Généralement courbés en deux, tête en bas, les danseurs adoptent une posture dans laquelle chaque mouvement dessine les muscles des dos, omoplates, épaules et bras, que l'on n'aura jamais aussi bien regardés. Ce qui déroute, c'est que l'effacement du visage entraîne d'emblée la disparition de la notion d'humanité : ces corps deviennent des créatures fantastiques dans lesquelles l'imagination de chacun reconnaîtra tel ou tel animal, grenouille, poisson ou autre. Que ces corps fusionnent ou se battent, l'on voit jaillir des images, comme celle d'une vulve qui s'ouvre et se ferme. Inutile de chercher à comprendre si le mouvement est celui d'un bras ou d'une jambe, il convient de se laisser porter par la beauté des images suggérées.

Enfin, après avoir gravi le rebord de l'îlot, les créatures se confrontent à la matière. L'une étale une glaise blanche liquide sur son dos, puis se retourne, dévoile brièvement son visage qu'elle recouvre immédiatement de glaise. L'homme se redresse et se tient debout mais bancal, les pieds dans cette glaise où il s'enfonce.

Le seul regret laissé par cette pièce est le manque d'évolution du dispositif, merveilleusement ingénieux, mais qui aurait pu laisser place à davantage de passages chorégraphiés.

Chorégraphe multifacettes, qui a travaillé aussi bien avec Sidi Larbi Cherkaoui qu'avec Madonna ou Luca Guadagnino pour son film Suspiria, signe ici une pièce atypique et fascinante, dans la lignée de Skid, créé il y a un an à Chaillot autour de la notion de gravité.

Crédits photographiques : © Yoshikazu Inoue

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