- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Pour et contre : la Huitième de Mahler sous la direction de Nézet-Séguin

Équilibrer les masses sonores, restituer à la fois l'esprit de l'oratorio et celui du lied ne sont pas les moindres défis d'une interprétation « live » de la Symphonie n° 8 de Mahler.  s'appuie pour cela sur les forces du . Avec ce « Pour et contre », nous vous présentons deux opinions contrastées sur cette nouvelle parution.

Un beau témoignage à défaut d'une référence

La discographie mahlérienne de est pour le moins disparate : le Chant de la Terre avec le Philharmonique de Londres, la Symphonie n° 1 avec le Symphonique de la Radio de Bavière, la Symphonie n° 4 et la Symphonie n° 10 avec le Métropolitain de Montréal, une autre Dixième avec le Philharmonique de Rotterdam… Cette Symphonie n° 8, captée en public est-elle le témoignage d'un beau concert, ou bien le début d'une intégrale pour Deutsche Grammophon.

La bonne surprise vient de l'orchestre. L'intensité des cordes magnifiques malgré quelques dérapages (justesse en défaut à 2'15'' d'Infirma nostri corporis) et des cuivres qui imposent leur présence sont de bonne augure. Le problème est de trouver, dans les premières minutes, un équilibre entre les masses. le recherche constamment. Il lui faut calmer les ardeurs avec un orchestre qui « pousse » sans cesse. L'explosion d'Infirma nostri corporis est ahurissante. On a l'impression que les cordes, puis les vents se libèrent et entraînent avec eux les chœurs. Le tempo est à la limite de ce qu'il est possible de tenir. Puis l'énergie retombe. À découvert, l'ensemble des voix solistes montre son peu d'homogénéité. Si les voix de femmes sont équilibrées, celles des hommes manquent de projection. Le ténor Anthony Dean Griffey possède un vibrato envahissant et un timbre peu agréable. Yannick Nézet-Séguin surveille sans cesse les tempi des chœurs, en léger retard parfois. Il marque avec dureté les temps forts. C'est à ce prix qu'il retrouve le flux dans les passages lyriques. Le Finale, Gloria sit Patri Domino contient davantage de violence paroxystique que d'humanité. L'impression est saisissante, mais le message en partie altéré.

La seconde partie, la scène finale du Faust II de Goethe, repose sur les climats d'une succession d'épisodes. Le caractère mystique et empreint de solitude de l'introduction est remarquablement porté par les cordes. Yannick Nézet-Séguin accentue la dimension opératique des premiers passages à forts contrastes. Elle devient aussi plus nerveuse avec une mise en place délicate (Chœur des anges et Chœur des enfants bienheureux). Le ténor Anthony Dean Griffey (Doctor Marianus) force sa voix, et la soprano  (Magna Peccatrix) peine dans les sauts de notes des tessitures extrêmes. L'orchestre colore avec beaucoup de verve et de tempérament les passages qui évoquent aussi bien l'amour que l'enfance, souvenirs des Symphonies n°3 et n° 4. Il impose sa puissance lumineuse dans le Finale qui prend, ici, les allures d'un oratorio. C'est la partie la plus réussie de cette interprétation de haute tenue. Elle s'inscrit après les références modernes de Sinopoli, Solti, Bernstein, Gielen, Davis, Nott, Tennstedt et Haitink. (SF)

Une interprétation sans profondeur accentuée par des chanteurs et une prise de son médiocres

Après une Symphonie n° 5 sortie un an avant la nomination de Yannick Nézet-Séguin à la direction musicale du , cet enregistrement de la la Symphonie n° 8 est le premier de avec cette formation pour Deutsche Grammophon. Tiré d'un concert de 2016, il marque le centenaire de la création de l'œuvre aux États-Unis, par le même orchestre alors dirigé par Leopold Stokowski, six ans après la création munichoise de 1910.

Chef hyper médiatique Yannick Nézet-Séguin enregistre chaque années de nombreux ouvrages de compositeurs divers, avec les multiples formations dont il est directeur, comme avec celles où il apparaît comme chef invité, avec des résultats de plus en plus discutables. Car si cet énergique Canadien impressionne toujours par sa capacité à transcender les orchestres secondaires, il passionne nettement moins avec les plus grands ensembles mondiaux. Alors à la question : « qu'a-t-il à dire de neuf ou de personnel dans la magistrale Huitième de Mahler ? », la réponse est : «absolument rien ! » Le Veni, creator spiritus met du temps à prendre forme, mal aidé par une prise de son compliquée, qui ne parvient pas à équilibrer les masses prises en concerts dans le Verizon Hall du Kimmel Center de Philadelphie. Ainsi, les Westminster Symphonic Chor et Choral Arts Society of Washington apparaissent vite comme une seule forme magmatique, tandis que les solistes en ressortent souvent comme s'ils étaient placé au-dessus, plutôt que devant. 

Le Philadelphia montre de belles sonorités, tant qu'il ne se trouve pas retranché dans une saturation qui met alors en défaut ses cuivres. Et là encore, les équilibres sont compromis mettant trop en avant les violons, de manière encore plus désagréable pour une écoute au casque, tandis qu'a contrario l'orgue s'intègre bien au tutti. Il serait toutefois possible de passer outre la qualité technique, si la prestation musicale montrait le moindre l'intérêt… Mais si les enfants de l'American Boychoir semble encore manquer de justesse dans l'Accende lumen sensibus de la première partie, ils peinent ensuite fortement sur le texte de Goethe, au risque de dénaturer le côté angélique de leurs parties finales. Les chanteurs ne fascinent pas plus : la Mater Glorioso de manque de pureté, , que l'on aime tant, n'est pas plus convaincante avec la dureté de l'aigu de sa Mater Peccatrix, peut-être emportée dans l'enfer de Faust par le Doctor Marianus aigre et chevrotant du ténor Anthony Dean Griffey. Et là encore, un casting médiocre ou en mal de justesse n'empêcherait pas une vision personnelle du chef, de même que toutes ses faiblesses n'ôtent pas à Svetlanov cinq dernières minutes paradisiaques dans son enregistrement Melodiya. À l'inverse, Nézet-Seguin se montre totalement dénué d'inspiration ne parvenant qu'à ralentir ou alourdir les masses, quand il faudrait être sensible ou puissamment touchant.

Puisqu'il est maintenant possible pour beaucoup de comparer les versions en streaming, il suffit d'écouter deux uniques minutes du Poco adagio de Nézet-Séguin, et de le confronter à celui de Kubelik, ou encore à celui de Boulez, pour ne citer que deux passionnantes versions du même label. On comprend alors immédiatement ce qui sépare encore un chef pourtant souvent intéressant dans Bruckner d'un puissant mahlérien. Cette interprétation n'est donc pas plus à retenir que celle de sa Dixième avec le Rotterdams Philharmonisch Orkest, déjà pour Deutsche Grammophon. (VG)

(Visited 1 250 times, 1 visits today)