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Barbara Hannigan, passionnément

Après « Crazy girl Crazy » qui fit l'événement en 2017, retrouve l'orchestre Ludwig pour un nouveau projet, La Passione, où elle chante, dirige et rédige même le texte de présentation, avec une exigence de perfection qui sidère. 

Néerlandais, Ludwig est une phalange à géométrie variable qui collabore avec depuis 2012. Dûment réfléchi et tiré au cordeau, ce nouvel enregistrement qui réunit les mêmes partenaires se décline en trois « stations », comme autant d'étapes d'une passion. C'est à Haydn qu'est emprunté le titre, La Passione, celui de la Symphonie n°49 en fa mineur (1768). Atypique pourrait-on dire, s'agissant de sa structure comme de sa tonalité mineure, l'œuvre appartient au mouvement « Sturm und Drang » (Orage et Passion) traversant l'époque classique comme un vent de tourmente pré-romantique. En témoigne un premier mouvement lent, extrêmement lent sous la direction d'Hannigan qui exacerbe le sentiment d'errance traduit par cette obsessionnelle oscillation sur le demi-ton. On est séduit par la dimension cantabile de la phrase, avec des cordes qui respirent à l'instar de la voix. Le clavecin – « l'ange noir perdu » nous dit Hannigan – s'invite au sein de cet univers quasi opératique que la cheffe entend modeler à son désir : c'est stupéfiant de beauté ! L'Allegro file droit, accusant le contraste du tempo et des dynamiques, avec un phrasé toujours sous le contrôle du chant. Surprise, toujours, avec un Trio primesautier (la perle lumineuse de la symphonie), accélérant le tempo par rapport au Menuet, lui-même suffisamment allant, dont Hannigan assouplit au maximum la métrique. Le clavecin, innervant la pulsation, réapparaît dans un Finale où sourd une belle énergie. Les Ludwig sont épatants, délicatesse des archets et suavité des bois aidant.

Deux pièces contemporaines encadrent la symphonie, deux joyaux du répertoire vocal que s'approprie Hannigan avec une sensibilité qui étreint : voix flexible et fluidité de la ligne nue, portée aux confins de la tessiture, dans Djamila Boupacha (1962) de où le Vénitien s'empare du poème de Jesús López Pacheco écrit en hommage à la combattante algérienne. « Ha de venir la luz » (La lumière viendra) chante Hannigan, avec une voix solaire et une sérénité intérieure qui est pure émotion.L'enregistrement des Quatre chants pour franchir le seuil de (1996-98) consacre dix années de travail sur la partition, confie Hannigan, qui en assure la partie vocale et la direction. « Quatre chants » est une méditation sur la mort, aussi étrange qu'hallucinée, écrite quelques mois avant la disparition du compositeur (il avait 52 ans), une œuvre monde livrant la part la plus profonde et habitée de son imaginaire sonore, dans une écriture toujours plus épurée. Jamais encore l'ensemble instrumental n'avait sonné avec une telle transparence dans La mort de l'ange (1) où chaque pixel de couleur (steel-drum, marimba, gong, etc.) anime un espace où va s'inscrire la voix. Grisey cherche l'hybridation des timbres, celle de la voix et de la trompette en sourdine dans le (1), celle de la harpe et des cuivres graves, créant de véritables illusions acoustiques (2) dans l'interprétation des Ludwig. L'enregistrement fait valoir à la fois la qualité des peaux percutées dans la superbe introduction du (4 ) (La mort de l'humanité) et les frottements au quart de ton des cuivres engendrant des vibrations singulières. Souvent irisée par le timbre instrumental, la voix d'Hannigan est tantôt projetée (1), tantôt filtrée (2), flamboyante (4) ou presqu'atone, toujours au service de l'écriture stylisée de Grisey. Elle est émouvante dans le (2), au sein d'un espace presque silencieux. Sur le mouvement oscillatoire des instruments, la voix ondoyante se met à vocaliser dans la Berceuse, entendue « non comme signe de l'endormissement, mais de l'éveil », précise le compositeur. L'écoute est captive et l'émotion à fleur de lèvres dans cette interprétation qui tutoie l'excellence.

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