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Trésors méconnus de la musique croate pour violon

Le label croate Vox Primus publie un disque essentiel, réunissant les sonates pour violon et piano de et de , et un chef d'œuvre exceptionnel du répertoire concertant : le concerto « Ottava alta » d' décédé le 14 août dernier. Le violoniste s'y montre un interprète de haute volée.

écrivit sa première sonate pour violon et piano en 1933 pendant ses études à l'Académie de musique de Zagreb, et la révisa en 1976, l'intitulant La Sonate d'adieu, en mémoire du compositeur Fran Lhotka. Cette même année encore, l'œuvre dans sa nouvelle version fut interprétée par et Ida Gamulin. Sans négliger la forme sonate classique ni la construction en trois mouvements, cette partition s'inspire aussi bien de la veine romantique que d'éléments néoclassiques : ses structures harmoniques sont claires mais parfois d'une dualité antagonique, et ses motifs rythmiques vifs (non sans liens avec le folklore local dans l'Allegro vivace final), contrastent avec des thèmes élégiaques et nostalgiques dans les trois mouvements.

fut un compositeur néoclassique, synthétisant la structure baroque, les formes classiques et l'expression romantique. Harmoniquement, il resta – tout comme – dans le cadre de la tonalité. Il élabora sa Sonate pour violon et piano en trois mouvements en 1972 afin de la créer lui-même. La partie de violon – très personnelle – et celle de piano s'y voient par moments opposées l'une à l'autre. On perçoit ces disparités dans un ambitus élargi de la sonorité de l'instrument à cordes, dans les diverses modulations chromatiques comme au travers de l'altération des thèmes séduisants et des accords brisés dissonants dans la partie de violon. Sur ce disque, cette sonate est enregistrée sur le violon ayant appartenu à , qui appartient aujourd'hui à la fondation portant son nom.

Le concerto pour violon et orchestre en un mouvement « Ottava alta » d' est une composition atonale, radicalement différente des deux sonates déjà citées. À partir de 1960, Malec fut l'un des membres les plus fervents du Groupe de recherches musicales (GRM), centre spécialisé dans le domaine du son et des musiques électroacoustiques, créé en 1958 par Pierre Schaeffer. Soucieux de renouveler l'écriture musicale, Malec s'intéresse particulièrement au son et aux éléments qui l'établissent. Cette passion de l'exploration et de l'expérimentation relative à ses années passées au sein du GRM – où il travailla de 1960 à 1990 – est perceptible dans ses œuvres des années 90, telles que Exempla (1994), Sonoris causa (1997), ainsi que dans sa page probablement la plus intéressante de cette période, le concerto pour violon et orchestre « Ottava alta » de 1995. Il s'agit d'une partition purement acoustique, qui semble mettre en relief les capacités les plus lointaines du violon classique dans son registre aigu (l'indication « ottava alta » signifie qu'il faut jouer les notes une octave au-dessus de ce qui est écrit dans la portée), sans nous faire oublier le registre grave. Le concerto « Ottava alta » marqua un tournant dans le monde de la composition pour le violon à la fin du XXe siècle. Les nombreux effets et le flux des rythmes et des couleurs (splendides) entre le soliste et les membres de l'orchestre (sans exclure les instruments à percussion), rendent cette œuvre remarquablement complexe. Le déplacement réciproque et parfois bipolarisé des principales idées musicales entre les parties du violon solo et l'ensemble instrumental font de ce concerto un exemple presque unique de la composition avant-gardiste, notamment au regard de l'époque à laquelle il a été conçu. « Ottava alta » fut créé le 14 décembre 1995 à Luxembourg par et le Grand orchestre symphonique de RTL (aujourd'hui l'Orchestre philharmonique du Luxembourg) sous la direction d' lui-même. et l' interprétèrent cette œuvre en 1998, à l'occasion de la création nationale, sous la baguette de Nikša Bareza. Au même moment, le présent enregistrement studio fut réalisé avec le compositeur lui-même en tant que producteur et conseiller, ce qui a contribué à ce que cette page soit jouée exactement comme il l'entendait.

Sur le plan de la lecture, nous sommes impressionnés par la richesse en harmoniques de la sonorité de Goran Končar, associant les graves charpentés aux aigus doux et cristallins. On est charmé par la façon dont il vit cette musique, nous faisant découvrir son énergie et ses structures tantôt simples, tantôt complexes. Dans ses prestations, nous aimons, tour à tour, sa délicatesse et sa légèreté de trait pour les sonates, et l'expression très évocatrice pour le concerto. Deux mondes, voire deux galaxies incompatibles qui permettent d'apprécier le génie imaginatif d'Ivo Malec.

Dans les sonates, le piano animé par témoigne de l'attention portée par celui-ci à la forme des phrasés s'enchaînant en un tout cohérent. Cette exécution nous révèle un dialogue intéressant entre deux instrumentistes qui, au lieu de chercher à se mettre en valeur, parviennent à jouer sur la même longueur d'ondes et surtout à se focaliser entièrement sur le message transmis par ces musiques.

Pour l'accompagnement dans le concerto, nous avons affaire à une symbiose parfaite entre le soliste et les membres de l', renforcée par leur sens du brio et leur vivacité aussi austère que dionysiaque.

Voici un disque indispensable par l'interprétation magistrale du concerto « Ottava alta » d'Ivo Malec. Plongeons-nous dans l'écoute et savourons.

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