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John Storgårds réussit une impressionnante Symphonie n° 11 de Chostakovitch

Chandos a confié au chef invité du Philharmonique de la BBC, l'enregistrement de la Symphonie n° 11 de Chostakovitch. S'agit-il du premier jalon d'une intégrale à venir ? Celle-ci entrerait en concurrence avec le legs que grava, pour le même label anglais, dans les années 80.

9 janvier 1905. Les régiments de cosaques du tsar tirent sur la foule massée sur la Place du Palais d'Hiver, à Saint-Pétersbourg. En tête de la marche pacifique, un pope, le Père Gapon. On saura plus tard qu'il est en réalité un agent de la police secrète du tsar, l'Ochrana, et que celle-ci attend une provocation pour que la troupe réagisse violemment. La marche pacifique va devenir le “dimanche sanglant”, premier acte d'une Révolution qui aboutit douze ans plus tard. Absent du Palais d'Hiver, le tsar portera, aux yeux de l'Histoire, la responsabilité de la tuerie. Le pouvoir est définitivement discrédité. La symphonie que composa Chostakovitch en 1956 s'apparente à une immense fresque en quatre mouvements de plus d'une heure. Elle s'inspire de chants révolutionnaires et traditionnels russes.

Auteur d'une discographie conséquente et plutôt consacrée aux répertoires nordiques et rares, révèle, à chaque fois, son tempérament profondément narratif. Dans le premier mouvement de la symphonie, il restitue le caractère à la fois immobile et menaçant de la scène. Les interventions solistes (trompette et basson, notamment) ne sont jamais « concertantes ». Le chef préserve une plastique sonore reposant sur des cordes graves impeccables. La tension qui ne cesse de croître dans le mouvement suivant, Le 9 janvier, est magnifiquement servie par la prise de son. Elle amplifie de manière saisissante, les effets de profondeur de champs. La conception quasi-cinématographique du drame apparaît avec autant d'élégance (cordes) que de force contenue. La rumeur ne cesse d'enfler au fur et à mesure que le vacarme des fusillades se rapproche. La caisse claire, les trompettes et les percussions graves atteignent un paroxysme sans raideur. La lente fluidité du mouvement des masses sonores contraste avec le sentiment de panique que l'on connaît chez Mravinsky, hier, et Gergiev, aujourd'hui. ne recherche pas la saturation de l'espace, mais il travaille davantage sur les textures harmoniques, soulignant les clusters, les traits dissonants et effets de batteries. Chant de déploration et de deuil, In Memoriam repose sur la mélodie « Vous êtes tombés, victimes d'un combat fatal… ». Elle fut composée en Russie, en 1880, et symbolisa la lutte des mouvements ouvriers. Les pizzicati des cordes graves « chantent » avec clarté et dans un tempo initial plus lento qu'adagio. L'immense phrase qui se déploie devient le prélude à un crescendo au lyrisme tchaïkovskien. Le finale repose sur les thèmes du chant révolutionnaire « Enragez, tyrans » et l'hymne La Varsovienne. Au cœur du mouvement, les parties de clarinette basse, cor anglais et cors sont judicieusement mises en valeur. L'accroissement de la tension tout au long du Tocsin paraît un peu trop « maîtrisée » si l'on compare avec les lectures de Gauk, Kondrachine, Svetlanov, Ashkenazy, Gergiev, entre autres. Mais il est vrai que cette musique coule naturellement dans les veines des interprètes russes. Dans les dernières mesures, fait appel à quatre cloches d'église au lieu des cloches tubulaires d'orchestre. Il les laisse résonner jusqu'au silence et cela ajoute une touche supplémentaire à la partition qui rend hommage à la scène de la cathédrale de Boris Godounov de Moussorgski. Voilà une belle et « solide » lecture de cette œuvre monumentale.

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