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À Stockholm, Don Giovanni fait tomber le quatrième mur

, à la tête de ses troupes de la Radio Suédoise, achève en beauté et en live streaming une saison chaotique avec ce Don Giovanni très original au Berwald Hall de Stockholm.

Centrée sur notre dépendance croissante vis-à-vis des écrans, la mise en scène d' prend, en ces temps douloureux, une bien cruelle actualité : dans un monde semblable au nôtre où la distanciation sociale est devenue la règle (Coronavirus oblige !), où gel hydro-alcoolique et masques protecteurs sont omniprésents, où notre existence ne se vit que de façon virtuelle, Don Giovanni doit se contenter de ses envies en évitant tout contact physique, privilégiant alors le fugace moment de séduction…Un désir constamment attisé par son absence d'accomplissement. L'idée, originale, ne manque pas de pertinence et sa réalisation scénique est à la hauteur de l'enjeu, mettant en avant tout un arsenal technologique en même temps qu'une amère solitude…devant une salle vide de public ! Une mise en situation qui nous met rapidement mal à l'aise, effaçant le quatrième mur, dans une sensation d'éclatement où disparaissent les limites entre scène et réalité. Un monde désincarné, noir et blanc, vue à travers l'optique d'une caméra qui attise regrets et nostalgie devant le monde d'avant, l'ancien monde, celui d'avant la pandémie, symbolisé par un film muet passé pendant l'entre acte, un temps révolu où l'on pouvait encore se parler sans masque, se toucher sans gel et s'embrasser sans angoisse.

Bien qu'intellectuellement séduisante, cette mise en scène sans mise en scène trouve rapidement ses limites par cette façon qu'elle a d'abolir le rêve et d'engendrer l'angoisse par son possible aspect prémonitoire….C'est finalement dans l'excellent casting vocal qu'il faudra trouver le réconfort.

Une distribution vocale homogène et de qualité superlative. A commencer, à tout seigneur tout honneur, par , ramage et plumage sont chez lui en parfaite adéquation pour en faire un Don Giovanni incontournable, indiscutable titulaire du rôle sur toutes les scènes lyriques. Face à lui, le Leporello de ne démérite pas par la présence scénique comme par la voix, puissante et bien timbrée. Le Masetto de Henning von Schulman est peu être un peu en retrait, tandis que le Don Ottavio d' impressionne par la beauté de son timbre, par son legato, par la souplesse de la ligne et la facilité des vocalises. Chez les femmes, l'excellence est également de mise, qu'il s'agisse de la Donna Anna de au timbre un peu acidulé, parfaitement apparié avec celui plus charnu de dans le rôle de Donna Elvira. La Zerlina de Johanna Wallroth séduit tout autant par sa fraîcheur et son aisance vocale.

Dans la fosse, semble assez peu impliqué servant les chanteurs avec précision et équilibre, mais son Ouverture manque indiscutablement de dramatisme, contrairement à la scène du Commandeur très théâtrale musicalement, exaltée encore par un Johann Schinckler dont le charisme et la basse profonde sont immédiatement convaincants.

Une production de haute tenue qui vaut autant par son exécution que par la réflexion qu'elle induit…

Crédit photographique : © Dario Acosta

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