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Le piano de Messiaen sous les doigts de Chiara Cipelli

La colombe, qui figure avec plus ou moins de bonheur sur la pochette de ce nouvel album, débute le cycle des Huit Préludes d' que la pianiste joue aux côtés d'autres pièces de jeunesse. Les envoûtantes Îles de feu I et II sont quant à elles extraites des Quatre études de rythme d'un Messiaen de la maturité, attaché au nombre et à la durée.

Si certains titres – Les sons impalpables du rêve, Un reflet dans le vent – regardent vers Debussy et sa poétique de l'évocation et du mouvement, le piano des Huit Préludes (1928/29) cerne déjà un univers singulier en matière d'espace et de résonance, de couleurs également, issues des modes harmoniques qui fondent le langage musical de Messiaen. « Les titres de ces pièces cachent des études de couleurs » avance le musicologue Harry Halbreich qui a côtoyé assidûment le maître et sa musique. Ce n'est pas l'impression que nous donne le jeu de dont la vigueur des attaques, la gestion un rien brouillonne de la polyphonie et le peu d'intérêt accordé au timbre et à la résonance ne rendent pas pleinement justice à une écriture sertie de trouvailles : la cloche fêlée (des fausses octaves) à la fin de La colombe, le trille du Chant d'extase dans un paysage triste, vibration de l'ordre du timbre dont la réalisation fort peu habile sous les doigts de la pianiste perturbe la ligne thématique. Les canons, qui traversent bon nombre de Préludes (II, III, V, VII) et les structurent tout à la fois, sont à peine audibles dans l'interprétation de Cipelli, trahissant un manque de legato et d'autonomie des plans sonores. La manière robuste de jouer les accords (confondant plénitude timbrale et décibels) l'est au détriment de la sensualité et de la vibration du son dans Cloches d'angoisse et larmes d'adieu, comme dans Les sons impalpables du rêve dont la main droite un rien heurtée n'accède pas à la sonorité immatérielle recherchée. Plus dramatique, Un reflet dans le vent convient mieux à l'énergie zélée de l'interprète même si les plans sonores peinent à cohabiter et le thème à se dessiner. La prise de son est sans finesse, incluant les effets de distorsion de la pédale (lorsqu'elle se relève) qui agacent.

Pas de polyphonie dans Pièce pour le tombeau de Paul Dukas (1936) mais le hiératisme des accords qui sied à cette stèle élevée en hommage au maître de composition de Messiaen. lui confère puissance et plénitude du son dans un temps que l'on aurait aimé plus habité. En revanche, la dimension harmonique et les différentes strates de résonance sont bien rendues dans le Prélude posthume de 1964 dont l'assise sonore et le déploiement spatial impressionnent sous le geste de l'interprète. On entend déjà un oiseau dans le début de la Fantaisie burlesque (1932), une pièce dans laquelle le maître ne tient pas vraiment la promesse de son titre. La pianiste accuse les contrastes entre le thème-oiseau rebondissant et une partie centrale plus poétique où son jeu gagne en fluidité et expressivité.

Îles de Feu I et II, dédiées à la Papouasie, n'ont pas été composées à Darmstadt, comme il est écrit dans le livret un rien sommaire, mais à Paris en 1950. Moins complexes (encore que) et moins risquées que leurs voisines hautement spéculatives, elles sont ici réunies par notre interprète qui libère toute son énergie dans le thème quasi percussif d'Île de feu I, résonnant dans le registre grave de l'instrument et donnant lieu à plusieurs variations. Le carillon qui débute Îles de feu II est moins heureux (la prise de son est sans doute en cause). La pièce, qui alterne variations et « permutations symétriques » (offrant d'autres découpages temporels), sonne de manière plus abstraite. Chiara Cipelli en détaille chaque facette avant de s'engager dans la redoutable toccata finale, danse véhémente d'une implacable rigueur dont la pianiste peine à relever le défi.

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