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L’été improvisé de l’Opéra de Stuttgart

Il était temps : les artistes de l'Opéra de Stuttgart retrouvent la scène après de longs mois de silence. Stravinsky et Beethoven sont de la fête.


Comme toutes les institutions culturelles, l'Opéra de Stuttgart a été contraint de terminer brutalement sa saison ; comme beaucoup d'entre elles, il voudrait aujourd'hui profiter de l'accalmie sur le front de l'épidémie pour reprendre contact avec son public et recommencer à faire ce qui justifie son existence. Il n'est naturellement pas question de rétablir les représentations prévues dans la grande salle de l'Opéra, mais il propose en ce début d'été plusieurs séries de manifestations.

Le théâtre musical y a sa place. Certes pas la grande forme opératique, mais des spectacles brefs, à petit effectif, et répétés de manière moins approfondie que ce que permet le fonctionnement normal d'un opéra. Une opérette était programmée dans le port de Stuttgart (La fleur de Hawai de Paul Abraham) tandis que L'Histoire du Soldat de Stravinsky fait le tour des quartiers de la ville, et c'est devant l'imposant musée Mercedes-Benz à Bad Cannstatt que nous l'avons vue. Le lieu est minéral au possible, battu par le vent en même temps qu'écrasé de soleil ; sous la masse imposante de ce temple de la croyance au progrès technique et au droit de polluer, la fragilité de la culture n'en est que plus sensible, d'autant que le spectacle est affligé d'un constant défilé de bruyantes motos.

Le bref délai dont ont disposé les artistes pour monter ce spectacle justifie sans doute un peu la superficialité du résultat. Le décor tient dans un container qui rappelle la roulotte avec laquelle Ramuz et Stravinsky avaient prévu de parcourir les villages suisses pour présenter leur œuvre – la grippe espagnole les en avait empêché. Il est regrettable que, comme souvent, les concepteurs du spectacle aient cru bon de fondre en un seul les trois rôles parlés du lecteur, du soldat et du diable, pourtant soigneusement construits par Ramuz : un seul acteur sert donc de factotum tout au long du spectacle, tandis que deux danseuses jouent les utilités, de manière beaucoup trop discrète.

Heureusement, et malgré l'inévitable sonorisation (réussie, à vrai dire), les musiciens de l'Opéra de Stuttgart sont eux à la hauteur de la partition fondatrice de Stravinski, à commencer par la violoniste Elena Graf, premier violon de l'orchestre, ici soliste-chambriste d'élite. C'est qui dirige la représentation, mais c'est qui avait dirigé la première : l'ensemble sonne plein, acéré, dynamique, avec toutes les couleurs exigées.

De manière plus classique, c'est à la Liederhalle, où ont lieu habituellement ses concerts symphoniques, que l'Orchestre national de Stuttgart a mis en place une série de concerts consacrés aux symphonies de Beethoven. Toutes ? Non, les effectifs trop importants de la Neuvième sont incompatibles avec cette situation d'exception. L'orchestre occupe une bonne partie du parterre de la salle, autour duquel se dispose le public, réduit à une petite centaine de spectateurs. Cette disposition inhabituelle et surtout le manque de public modifie en profondeur l'acoustique, devenue beaucoup trop vaporeuse.

Directeur musical de l'orchestre et donc de l'Opéra, offre un Beethoven énergique sans brutalité, aéré et inventif. On peut lui reprocher, dans le finale de la Symphonie n° 3, une tendance à exagérer les contrastes entre les différentes variations, mais il obtient des cordes une légèreté, une capacité à sculpter le son en d'amples volumes aériens, qui donnent par exemple au premier mouvement une prégnance rarement atteinte. C'est l'inverse absolu d'une tradition d'interprétation sombre et « germanique » qui a longtemps prévalu dans cette œuvre, et c'est extrêmement séduisant. La marche funèbre y perd toute brutalité, mais elle n'en est pas moins tragique, dans un registre plus noble et plus intérieur qu'à l'accoutumée.

La  Symphonie n° 2, le lendemain, aurait pu bénéficier d'une pareille approche. Il est difficilement compréhensible que, cette fois, l'interprétation soit alourdie d'un sérieux hors de saison, qui sort lui aussi des traditions interprétatives, mais dans le mauvais sens. Mieux vaut, alors, garder en tête les souvenirs de cette Troisième si vivante et des séductions sonores dont l'orchestre sous la direction de son directeur musical a su se revêtir.

Crédits photographiques : © Martin Sigmund

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