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Les œuvres pour piano de Leoš Janáček selon Thomas Adès

concilie avec un égal bonheur la carrière de pianiste, de chef d'orchestre et de compositeur. Sur son dernier disque solo, il propose des œuvres pour piano de .

Sur un sentier recouvert est un cycle de morceaux regroupés en deux cahiers écrits dans les années 1900-1911. On y découvre des accents rappelant les musiques de Schumann et de Grieg, tout comme des réminiscences des Mélodies populaires de Moravie de Janáček lui-même. Celui-ci ne s'y réfère pas à une balade dans les bois, comme pourrait le suggérer le titre du recueil, mais il y pleure la disparition tragique – de la fièvre typhoïde, à l'âge de vingt et un ans – de son unique enfant ayant survécu, sa fille Olga. Les noms respectifs des pièces du premier cahier, dont une partie fut initialement destinée à un harmonium, témoignent de leur caractère introverti, évoquant des souvenirs de la vie du compositeur, comme Une feuille emportée ou La Vierge de Frydek. Si ces miniatures sont moins d'avant-garde que les dernières pages de Janáček, elles démontrent, en revanche, une évolution dans son style, combinant des éléments impressionnistes, expressionnistes, ainsi que, au plan des moyens mis en œuvre, minimalistes.

La Sonate « 1er octobre 1905 » en mi bémol mineur, appelée au début « De la rue », fut composée entre le 2 octobre 1905 et le 27 janvier 1906 (date de sa création), deux ans après l'achèvement de l'opéra Jenůfa. Elle s'inspire du décès de l'apprenti menuisier František Pavlík, tué à vingt ans par baïonnette, à la date qui donna le titre de la partition, suite à la dispersion par la police et l'armée d'un rassemblement de soutien à la création d'une université tchèque à Brno. Cette ville faisait alors partie de l'Empire austro-hongrois et était habitée également par les Allemands. Ses deux mouvements survivants possèdent une puissance expressive maximale avec un minimum de moyens. Janáček ajouta en 1924, lors de la publication de cette page, l'inscription suivante : « Le marbre blanc des marches du Besední dům à Brno. Le manœuvrier ordinaire František Pavlík tombe, taché de sang. Il venait simplement défendre l'éducation supérieure et a été tué par de cruels meurtriers. »

Dans les brumes est la dernière des plus importantes compositions solos de pour piano. Elle constitue, tout comme la sonate, un chef-d'œuvre en ce qu'elle atteint une force expressive étonnante grâce à l'économie des moyens. C'est un cycle de quatre pièces destinées à être jouées par des membres du club des amis de l'art de Brno, écrites en 1912, quelques années après que Janáček ait subi la mort de sa fille Olga et alors qu'il était au plus bas, psychologiquement à cause de ses tentatives infructueuses de faire exécuter ses œuvres lyriques par les maisons d'opéra de Prague, et physiquement à cause de rhumatismes et d'autres affections. Les quatre parties du recueil sont en grande partie élaborées dans des tonalités « brumeuses » à cinq ou six bémols. Avec leurs changements fréquents de métrique, elles sont comparables, pour ce qui est de leurs atmosphères, aux pages impressionnistes, en particulier à celles de Claude Debussy.

subjugue par sa musicalité en interprétant ces œuvres à travers le prisme d'une multitude d'ambiances et de couleurs, qu'il évoque avec autant de simplicité que d'éloquence. Si, par instants, il est extrêmement doux, comme dans Bonne nuit !, d'autres fois, il se montre fervent et agité, notamment dans La Chevèche ne s'est pas envolée !, le dernier mouvement du premier cahier de Sur un sentier recouvert, dans lequel il impressionne par la netteté de l'articulation. Il appréhende ces musiques comme un tout cohérent, où chaque phrasé, aussi incompatible avec les autres puisse-il paraître, trouve sa juste place dans une suite logique, faisant penser, par la pureté des contours mélodiques, à l'art lyrique. Le piano chante, malgré une expressivité parfois austère, principalement en raison de la froideur de certains accords joués secco.

se livre à une ample et profonde respiration qu'il transforme en une méditation où règnent la poésie et la ferveur. Quelle ardeur dans Sonate « 1er octobre 1905 », dont l'exécution est parsemée de suspens et de frissons ! Le même état de fragilité et d'anxiété plane d'ailleurs sur la prestation de Dans les brumes, s'imprégnant de mystère et du désespoir d'un être résigné. Sous les doigts d'Adès, les tourments de Janáček sont plus manifestes que jamais. Cette démonstration n'est cependant ni âpre, ni criarde, et le propos n'est nulle part agressif.

Voici un album qui nous propose des partitions à la fois profondément individuelles et émouvantes, constituant l'une des voix les plus originales de la musique du début du XXe siècle. Avec la prise de son dûment équilibrée, quoique non dénuée de petites saturations, cette parution ne peut pas rester en marge de la discographie.

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