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La Roque d’Anthéron 2020 : que la joie demeure

L'édition 2020 du festival de la Roque d'Anthéron était un acte de résistance, mais il fallait que la fête eut lieu, pour les 40 ans du festival et pour les 250 ans de Beethoven. Le public, affamé de musique vivante après quatre mois de privation, a pu retrouver des artistes eux-mêmes heureux de pouvoir enfin jouer.

Tant pis pour les ardeurs du soleil, voilà des chapeaux. Tant pis pour la brièveté des programmes, voilà des bis, à profusion. Palme de générosité à : 40 minutes de bis « vous me direz quand vous en aurez marre… ! ». Palme d'élégance à « La Roque d'Anthéron, c'est un pèlerinage… pour exprimer ma joie, je ne vois rien de mieux que de vous jouer Jésus que ma joie demeure ». C'était le mot juste. Tout le monde était dans la joie : celle de jouer, celle d'écouter, de faire triompher la musique malgré tout, et de célébrer ce merveilleux instrument qu'est le piano.

On savait que avait une affinité élective pour Liszt. Était-ce la joie de retrouver le public, était-ce la magie du lieu, entre le bassin du parc et les frondaisons des platanes ? Nous le trouvons ce soir au sommet de sa virtuosité et de l'inspiration. Il fait résonner d'étranges accents tragiques dans Sposalizio (extrait des Années de pèlerinage), et donne a contrario un allant joyeux, presque nuptial à la Marche solennelle vers le Saint Graal de Parsifal. Même La lugubre gondola semble heureuse de filer vers son destin. Quant aux Jeux d'eau de la Villa d'Este, ils éclaboussent le public de fraîcheur, confondant eau et ciel dans la même lumière. La soirée se termine officiellement avec Venezia e Napoli, étourdissant de brillance, de délicatesse et de poésie, avant sept bis au total, dont de difficiles Ravel, Debussy, Saint-Saëns.

Anniversaire oblige, on se devait de célébrer Beethoven et ses cinq concertos pour piano et orchestre, répartis dans la même journée sur trois concerts différents. Mais Covid-19 oblige, il a bien fallu se rabattre sur les pauvres transcriptions de Vinzenz Lachner pour quintette à cordes. Elles fonctionnent assez bien pour le n° 1 et le n° 2, dont l'écriture est encore classique et relativement simple. Elles passent encore pour le n° 3 et n° 4, même si les cinq instrumentistes peinent à donner l'élan dont émergent les vagues des phrases pianistiques, ou à leur donner de l'écho. Mais dans le magnifique Concerto n° 5 dit « L'Empereur », elles échouent à évoquer la prodigieuse variété des couleurs, des nuances, et surtout l'ampleur de la respiration sur laquelle le piano s'appuie. Une compromission nécessaire, mais difficile pour le mélomane.

Pour le premier concert de 10h, c'est au cinquième d'ouvrir la série. L'immense conque de l'auditorium du parc et la violence de la lumière estivale n'atténuent pas le constat que ce concerto ne sera jamais une œuvre de chambre. Peine perdue, donc, pour le , poussif et déstabilisé, et la valeureuse Pénélope Poincheval à la contrebasse, qui ne peuvent que suivre le magistral au piano. Malgré ses attentions pour ne pas écraser ses collègues et quelques beaux échanges dans l'adagio, celui-ci se trouve vite le seul à rendre justice à l'esprit de ces musiques.


Changement complet d'ambiance pour le concert de 17h, avec les Concertos n° 1 et n° 2 : le cadre plus resserré et ombragé de l'espace Florans permet une plus grande proximité entre les artistes et le public. Dans ces conditions, les quatuors Ardeo et Alikone se trouvent bien plus à l'aise et peuvent instaurer un vrai dialogue avec . La bien prénommée pianiste déroule un toucher frémissant d'une finesse exceptionnelle, avec des trilles à faire taire les cigales et des pianissimi étirés au confins du silence. Un moment de grâce et de féminité assumée.

À 21h, retour à l'auditorium du Parc pour les Concertos n° 3 et n° 4, avec le Quatuor Ardeo, toujours l'infatigable Pénélope Poincheval à la contrebasse, mais deux pianistes différents, pour le quatrième et pour le troisième. Sans étouffer le quatuor (aux couleurs parfois astringentes), Vitaud déploie une virtuosité puissante et ailée dans l'allegro, mais aussi une inquiétude tragique bienvenue dans l'andante. Du vrai, du grand Beethoven. , lui aussi, plonge des deux mains dans une jubilation habitée, en bonne harmonie avec les dames aux archets. Une belle conclusion pour cette journée risquée, inégale, mais justifiée. C'est finalement une promenade contrastée dans les concertos pour piano de Beethoven, avec plus de cimes que d'abîmes.

Ni surprise, ni prise de risque avec le jouant Schubert. L'ensemble interprète les célèbres Trio pour piano et cordes n° 2 et le Notturno op. 148 avec cette sensibilité et cette cohésion maximum qui les caractérisent. Immédiatement joyeux, voire pétillant, l'Allegro nous plonge dans ce bonheur vivant qui nous a tant manqué pendant la crise sanitaire. Profond et méditatif, l'Andante con moto échappe à la mélancolie grâce à cette pulsation d'énergie qui domine tout le concert. Le Scherzo et l'Allegro moderato final reprennent la célébration de la joie et de l'optimisme. Jouer le Notturno en plein midi d'été provençal aurait pu apparaître comme une gageure, voire une provocation, mais pas avec de tels maîtres. Ils réussissent à créer une atmosphère de nuit fraîche et trans-illuminée, pleine de confiance pour l'aurore à venir. Une leçon de musique et d'humanité, parfaitement adaptée à notre actualité. Bravo, et bas les chapeaux de soleil !

Crédits photographiques : © Christophe Grémiot

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