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L’édition limitée du 73e Festival de Besançon

Le 73e Festival international de musique de Besançon-Franche-Comté a bien eu lieu. Dans une « édition limitée », voire « collector », qui a révélé un lot de talents à suivre de très près.

« Une année sans Festival ? Hors de question ! …il n'est pas plus compliqué de porter un masque dans une salle de spectacles que dans un train ! » Telle fut, en préambule, l'énergique déclaration de Myriam Grandmottet, présidente du festival.

Du symphonique malgré tout

Jean-Michel Mathé, directeur de la manifestation, a dû faire subir une sévère cure d'amaigrissement au riche programme annoncé : exit les très attendus François-Xavier Roth, Alexandre Kantorow, Boris Berezovsky, Victor-Julien Laferrière, exit les grandes formations symphoniques invitées. Le Grand Kursaal, sous haute sécurisation sanitaire, sert de repli à la quasi-totalité des concerts initialement imaginés pour des lieux à l'intimité plus propice (Salons de la Préfecture, Salle du Parlement).

Afin de ne pas totalement priver le public de cette part symphonique qu'il prise tant, le traditionnel concert gratuit d'ouverture est maintenu, dirigé par . Son Orchestre Victor Hugo au grand complet, en « masques de soirée », avec une distanciation qui lui fait occuper la moitié du parterre du Kursaal, assure une énergique Nuit Andalouse, retransmise dans le plein air de la Place Granvelle et sur internet : de Chabrier à Bizet (frustration d'entendre les vents assurer les lignes vocales dévolues aux héros de Carmen), de Rimski-Korsakov à (une irrésistible Danzon n° 7). Le lendemain, c'est son Orchestre des Jeunes qui fête ses dix années d'existence au terme d'un stage estival où se seront retrouvés plus de quatre-vingts jeunes de 11 à 25 ans. La prestation, intitulée Jeunesse symphonique, n'a rien à envier à celle de la veille, tant par le choix des œuvres, que par leur interprétation, dont un ébouriffant final de la Neuvième de Dvořák, avec Verdier ravi de passer la baguette à d'émouvants inconnus pour un bouleversant allegretto de la Septième de Beethoven, une poignante Valse triste ou un déchirant extrait du Mission de Morricone.

Ré-apprendre à respirer avec


God Save the King !
par était attendu en moment-phare du festival. Comme on pouvait s'y attendre, le programme Haendel proposé par un Concert spirituel en petite formation mais en grande forme (Dettingen Te Deum et les 4 Coronation Anthems, dont l'irrésistible Zadok the Priest) n'aura pas engendré la mélancolie : les saillies historico-pédagogiques du maître de cérémonie, quand il s'agit d'évoquer la création chaotique du Te Deum, plus intimes à l'endroit du bon sens d'une grand-mère dont il parle avec autant de lucidité que d'amour, son dialogue avec la salle, font un bien fou en ces temps où, dit-il encore, on ne savait plus bien si on avait le droit de respirer. Concert de circonstance donc pour des œuvres qui ne le sont pas moins : les 12 chanteurs et les 13 instrumentistes n'ont même pas besoin de l'acoustique généreuse du Kursaal, pour envoyer la majesté de pièces qui en leur temps mobilisèrent myriades de talents. Un grand bol d'air que cette soirée qui se conclut par une invite participative à un God Save the King général.

Si jeunes, si talentueux

Le jeune (du nom d'un fougueux et authentique berger australien), fondé en 2015 par quatre jeunes gens (l'alto est tenu ce jour par une jeune femme) issus du CNSM de Lyon, lance la série des révélations. Les Yako sont un ensemble à l'équilibre lumineux, qui pourra gagner en cohésion comme l'indique le Presto des Harpes beethovéniennes en charge d'ouvrir un concert conclu avec un Debussy précis et brûlant. Entre les deux géants se seront glissés les pointes de pieds du Quatuor n° 2 de : une œuvre minuscule (8 minutes) que la pureté des attaques et des lignes des Yako conduit au majuscule.

Le , fondé en 2019 par , réunit des musiciens « à vents » issus de plusieurs orchestres français. Le programme fait entendre un programme autour de Figures in the garden, une sérénade de où le compositeur a pris plaisir à jouer à cache-cache dans le jardin des Noces de Figaro : une phrase de la Comtesse exceptée, on se demande si Mozart lui-même aurait retrouvé ses thèmes dans ce malicieux labyrinthe. La complémentarité est manifeste, dans leur respectifs sublimes adagios, entre la Sérénade de Dvořák et le chef-d'œuvre du genre, la Gran Partita de Mozart. Si l'exécution du Dvořák malgré un cor un peu flottant, est concluante, celle du Mozart, irréprochable techniquement, nous a paru manquer d'alanguissement aux apparitions des mélodies ineffables qui la parsèment. La mémoire file alors vers une autre exécution, celle que donna en 1984, à quelques kilomètres du Kursaal, à la Saline Royale d'Arc-et-Senans, quelques mois avant sa mort, un Marcel Moyse ne faisant qu'écouter ses instrumentistes et se pâmant comme un enfant émerveillé à l'apparition de chacune d'elles.


Dans l'Auditorium Jacques Kreisler de la Cité des Arts, la Compagnie Bacchus présente Exil pour deux violons, un spectacle d'une heure dix autour de l'exil de Bartók aux États-Unis en 1940. Jean Pétrement, fondateur de la compagnie, est Bartók. Un Bartók qui se définit comme le cousin de Debussy et Ravel plutôt que le frère de Beethoven et Wagner, et qui, honteux d'appartenir à sa classe, n'aura de cesse de faire chanter l'âme populaire de son pays, comme dans ses 44 duos pour deux violons (dont une petite trentaine cimentent le spectacle), suite de thèmes populaires recueillis en Europe de l'Est et en Afrique. et , violoniste et comédiens, bien décidés à prouver que « celui qui veut vraiment sentir la pulsation de cette musique doit en quelque sorte la vivre… », nous conduisent avec un vibrant talent dans ces miniatures que le compositeur hongrois qualifia de « modèles de perfection artistique ».


Dans la famille Metral, voici Justine au violoncelle, Vincent au piano, Joseph au violon. , privée de sa patte symphonique pour la première année de sa résidence; prévient, en introduisant sa brève (9 minutes) et ultra-séduisante carte de visite The Road not taken de 2018 : les Metral ne sont que trois mais ils semblent beaucoup plus. Impression confirmée par la splendide exécution du sombre Trio n° 2 de Chostakovitch, dont les coups de théâtre sont rendus de façon spectaculaire, les pizzicati claquant avec ampleur. Technique et écoute brillent de même dans la lumière arachnéenne des entrelacs mendelssohniens. Le concert de chambre du est le plus symphonique du festival.

La résidence de  : An I


Loin du traditionnel concert de clôture symphonique, le festival se clôt par un récital de piano. introduit Celia Oneto Bensaid, jeune pianiste à l'engagement d'emblée attachant, qui a conçu un programme De Ravel à Pépin. Le chemin passe par Glass (on l'avait remarqué la veille dans The Road not taken), Pépin s'inscrivant dans cette nouvelle génération de compositeurs décidés à travailler en-dehors de toute doxa. La pianiste invite Glass en veilleur, ses cinq Métamorphosis (la bouleversante simplicité mélodique de la deuxième fait toujours mouche) venant ponctuer, comme des oasis sonores, les deux Pépin (Number 1, inspiré par Pollock et Nighthawks, transcrit de la harpe, d'après Hooper) et les cinq Miroirs de Ravel. Ces Metamorphosis de 1988, une découverte pour beaucoup, sont ourlés, face à une salle qui retient son souffle, avec une liberté et un sens de la nuance inédit qui les exclut presque de la période « répétitive » du compositeur. Ravel, Pépin, Glass : les filiations sont clairement soulignées par le jeu virtuose et limpide, sans histoire, magnifié par un piano aux aigus cristallins. Le compositeur américain ouvre et referme un concert qui conclurait le festival dans un impressionnant silence, n'étaient trois bis américains ahurissants de virtuosité : Joplin, Bernstein et Glass encore, avec l'étourdissante Dance du deuxième Acte d'Akhnaten.

Édition à l'intérêt illimité donc, suivie avec passion par un public moins nombreux que d'ordinaire : frilosité face à l'inconnu ou difficulté à sortir « comme avant » ?

Crédits photographiques: Camille Pépin © Natacha Colmez-Collard ; photos du festival © Yves Petit

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