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À l’Opéra Royal de Wallonie, la Bohème ou l’amour au temps de la Covid-19

Après six mois de silence total, l'Opéra Royal de Wallonie, moyennant quelques concessions bien compréhensibles aux autorités politiques et sanitaires, peut ouvrir sa saison 2020-2021 – celle du 200ᵉ anniversaire de la maison – avec une nouvelle production de La Bohème de Puccini.

Crise liée au coronavirus oblige, la jauge de la salle liégeoise, compte tenu des directives tant fédérales que municipales, a été ramenée aux deux tiers de sa capacité, avec une capacité maximale fixée à environ six cents places sur mille disponibles.
De même, c'est la réduction due à Gerardo Colella, publiée par Ricordi, souvent utilisée dans les petits théâtres italiens, destinée à environ trente cinq musiciens qui a été retenue. L'effectif des cordes en a été « poussé » au maximum tout en respectant des distances dans la fosse d'orchestre. Certes on devine plutôt qu'on appréhende la géniale et foisonnante orchestration de Puccini, dans l'effervescence un peu gommée du premier acte, ou le rabotage de la dynamique des scènes de foule de la veillée de Noël au café Momus de l'acte II. Mais, après l'entracte, le déchirant affrontement à la Barrière d'Enfer, ou la mort de Mimi dans la mansarde de Rodolfo, par une discrète patine chambriste, arborent une douceur tragique et une poignante intimité dans cette réalisation. On peut compter sur la direction à la fois vivante, précise et dramatiquement impliquée d'un , très attentif aux mille nuances de la partition et tenant exemplairement son plateau, pour mettre en valeur cette très habile adaptation.


La mise en scène de Stefano Mazzonis transpose l'action dans le Paris de l'immédiat après (dernière) guerre, cinquante ans après la composition de l'œuvre, un peu comme le compositeur et ses librettistes avaient transposé le roman de Murger de l'époque romantique au tournant du siècle. Les beaux costumes de , habitué des lieux, renvoient sans équivoque à cette époque moderne. Dans un faubourg un peu glauque se croisent en contrebas de la mansarde des quatre amis colocataires, les figurants d'un univers interlope – prostituées classieuses, clients bourgeois encanaillés, malfrats au long col, policiers « hirondelles » : ces incessantes allées et venues contrebalancent une direction d'acteurs pour le moins statique pour les rôles chantés « postés » à l'étage. Ainsi les grandes scènes d'amour entre Rodolfo et Mimi, difficiles à négocier vu la distanciation physique imposée par notre triste époque, sont-elles un rien figées par un hiératisme de commande. Puis avec Mazzonis, il y a toujours ce petit détail à la limite du kitsch qui contraste avec la sobriété du spectacle… telle cette jeep qui ramène au dernier acte une Mimi moribonde et une Musetta paniquée à la mansarde de Rodolfo.

On ne peut qu'admirer l'habileté du montage des décors de Carlo Sala. Ceux-ci en l'absence de plateau tournant, se mutent en quelques secondes d'immeubles sordides en joyeux café ou de Barrière d'Enfer en boulevard déserté. Le camaïeu des gris des arrière-plans en est relevé tant par les très subtils éclairages de , que par de petites touches colorées – la tenue rouge ou verte d'une demi-mondaine, les robes chamarrées de Mimi, la perruque fauve de Musetta, les ballons de Parpignol ou les peintures de Marcello – signes d'une vie potentiellement fertile malgré un hiver maladivement glacial.

La distribution n'appelle que des éloges. Le ténor lyrique , habitué du rôle sur les plus grandes scènes, campe un Rodolfo aussi séducteur que jaloux, aussi vaillant qu'intimement blessé, avec une grande palette de nuances culminant en un héroïque climax au faîte de son Che gelida manina. Angela Gheorgiou entame timidement sa prestation ce soir, et apparaît bien hésitante comme bizarrement mal à l'aise, dans son Si, mi chiamano Mimi, au fil duquel la justesse d'intonation est quelque peu aléatoire ce soir, mais galvanisée par son partenaire. Elle se retrouve tout à fait dès le final du premier acte (O soave fanciulla !), et, au faîte de ses moyens vocaux et dramatiques, impose, en seconde partie du spectacle, sa composition saisissante d'une phtisique rongée à la fois par la maladie et l'amour impossible (acte III) ou d'une sobre mourante digne et implorante, s'effaçant sans pathos au comble de l'émotion. Le Marcello très solide de Ionut Pascu et la Musetta totalement libérée, piquante et acidulée de (notamment dans un splendide Quando m'en va) offrent une réplique très convaincante par leur engagement physique au couple « vedette », tant par une vocalité pleinement assumée que par une extraversion scénique irrésistible.

Le Schaunard de un rien monolithique mais très en verve, le fataliste Colline d'Ugo Guagliardo, plus guindé et au timbre légèrement voilé, ou encore l'irrésistible (tenant le double rôle du propriétaire Benoît et d'Alcindoro) complètent ce plateau très relevé. On mentionnera aussi d'excellents chœurs, superbement préparés par Denis Segond ; et l'exemplaire travail de Véronique Tollet à la tête de la Maîtrise d'enfants, justement acclamée, nous vaut des ensembles de toute beauté et très présents malgré leur relégation dans les coulisses du café Momus.

Le programme mentionne que pour soutenir l'Opéra Royal de Wallonie, les artistes ont réduit leur cachet pour soutenir l'institution : beaux gages pour une réouverture réussie et, espère-t-on, pour une saison épargnée dans son déroulement cette fois par la pandémie !

Crédits photographiques : © orw – Jonathan Berger

 

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