- ResMusica - https://www.resmusica.com -

La Khovanchtchina à la Philharmonie de Paris par Gergiev et le Mariinsky

Compte tenu des circonstances sanitaires actuelles, donner cet opéra monumental de Moussorgski, même en version de concert, peut sembler une véritable gageure et pourtant… Dans le cadre des « Saisons russes », offre à la Philharmonie de Paris une Khovanchtchina épique et poignante, servie par une distribution homogène de haute tenue, regroupée autour de l'admirable Marfa de .

La Khovanchtchina, nom donné à la révolte des princes Khovansky, est un grand opéra historique de Moussorgski (le second après Boris Godounov) dont la genèse difficile fut interrompue par la mort du compositeur en 1881, complété successivement par Rimsky-Korsakov, Ravel, Stravinski et enfin Chostakovitch, en 1960, qui en fixa la version actuellement la plus souvent jouée. Drame populaire qui retrace la lutte opposant au XVIIe siècle, à Moscou, les tenants de la vieille Russie et les modernistes dans le sillage de Pierre le Grand : deux conceptions de la Russie à l'origine d'un conflit épique et passionné aux connotations socio-politiques et religieuses faisant suite aux réformes du patriarche Nikon. L'intrigue se resserre autour de quelques personnages : les princes Khovanski, coalition familiale de féodaux séditieux, les vieux croyants conduits par leur intransigeant chef Dossifei et le parti des réformateurs sous la houlette du prince Golitzine. Tout s'achève tragiquement sur un assassinat, un départ en exil, un spectaculaire suicide collectif, et une histoire d'amour ratée !

On sait les affinités étroites de pour cet opéra de Moussorgski qu'il a porté sur toutes les grandes scènes lyriques, de Saint-Pétersbourg à Milan, souvent en compagnie de sa troupe fétiche du Mariinsky. Une proximité qui explique largement la qualité exceptionnelle de la prestation de ce soir, tant musicalement (orchestre, solistes et chœur) que scéniquement avec une mise en situation et un jeu d'acteurs tout à fait explicite, malgré la complexité du livret pour qui ne connaît pas cet épisode troublé de l'histoire de la Russie, à vrai dire considérablement remanié par Moussorgski.

La qualité de l'Orchestre du Mariinsky est chose bien connue, se manifestant avec une flagrante évidence lors des passages purement instrumentaux, comme l'Ouverture de l'acte I ou la danse persane au début de l'acte IV. Les performances solistiques, comme la cohésion de la phalange russe, y font merveille sous la direction précise et attentive du chef. Là où Claudio Abbado (dans sa mythique version viennoise de 1989, pour ne citer que celle-là) favorisait une lecture peut-être plus poétique, Gergiev choisit l'épopée, la théâtralité, le drame, la ferveur ou la solennité comme autant de climats s'exprimant dans un phrasé tendu, très narratif et travaillé, riche en couleurs et en nuances, depuis les pianissimi les plus intimes jusqu'aux fanfares cuivrées les plus intenses, toujours superbement contrôlées.

La distribution vocale est, ce soir, d'une rare homogénéité, comme seule une troupe rompue au répertoire est capable d'en proposer, une constatation qui nous amène à encourager le nouveau directeur de l'Opéra de Paris, Alexander Neef, à persévérer dans son souhait de créer une pareille troupe pour « la grande Boutique », mais cela est une autre affaire… Opéra russe oblige, le casting vocal masculin est dominé par les voix graves. À tout seigneur, tout honneur, c'est à dans le rôle d'Ivan Khovansky, d'ouvrir ce concert de louanges : la voix est puissante, bien timbrée, la stature imposante sied parfaitement à son personnage autoritaire et machiavélique. Face à lui, est le titulaire habituel de Dossifei. La projection est majestueuse, le timbre profond et le personnage complexe allie, avec bonheur, compassion et intransigeance. Plus en retrait, (Shaklovity) peine à donner sa pleine mesure dans son intervention du premier acte qui manque un peu de puissance, mais son grand air du III est un modèle du genre par la clarté du timbre, les couleurs et la solennité menaçante de la projection. Côté ténors, le Scribe d', en ténor de caractère, séduit immédiatement par l'exubérance de la prestation scénique comme par le timbre acidulé, à l'instar d' (Golitzine) ou d' (Andreï Khovansky) tous deux parfaitement convaincants, apportant chacun les couleurs vocales indispensables à leur rôle respectif, autorité pour l'un, drame et vaillance pour l'autre. Concernant la distribution féminine, la Marfa d'Yukia Matohkina domine par l'ampleur de l'ambitus, par la beauté et la rondeur du timbre, par la souplesse de la ligne et la facilité vocale dans les changements de registre. À ses cotés, ses consœurs, malgré des interventions limitées, ne déméritent pas, que ce soit la lumineuse Emma de ou la vindicative Susanna de . Dans ce dithyrambe, le chœur est, bien sûr, un personnage essentiel, celui du Mariinsky confirme sa réputation par la beauté de la sonorité, la plasticité des nuances et la ferveur dégagée dans le final. Magnifique !

Crédits photographiques : © Alexander Shapurov. © Daniel Rabovsky

Mis à jour le 07/10/2020 à 11h

(Visited 1 106 times, 1 visits today)