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Un quart de siècle pour l’Association internationale « Dimitri Chostakovitch »

Sur la scène de Cortot, le Trio Métral fête les 25 ans de l'Association internationale «  » en inscrivant au programme le célèbre Trio n° 2 du maître russe et trois compositeurs apparentés à son univers, Haydn, Weinberg et .


Fondée à Paris en 1995 avec le soutien d', l'Association internationale s'est dotée dans la capitale d'un centre de documentation de musique contemporaine centralisant le fond d'archives du compositeur ainsi que des partitions de musiciens russes du siècle dernier et d'aujourd'hui.

Sans autre discours ni présentation pour débuter cette soirée festive, c'est le , Victor, Joseph et Justine issus de la même fratrie, qui investit le plateau. Jeune phalange formée au CNSM, les Metral qui, dit-on, travaillent et jouent ensemble depuis l'enfance, débutent leur concert avec le Trio en do majeur Hob. XV 27 de , une musique qu'ils connaissent bien et avec laquelle ils remportent un premier prix au Concours international de Vienne en 2017. Le discours est fluide dans l'Allegro initial et la phrase élégante dont on apprécie l'articulation et la ciselure. Les ruptures de ton et la légère dramatisation dans l'Andante trouvent leur juste mesure tandis que le final en rondo est irrésistible, mené bon train par nos trois musiciens, avec une acuité du son et une légèreté exemplaires.

Si Haydn est vénéré par Chostakovitch, , polonais d'origine qui émigre en URSS dès 1939, devient l'ami fidèle du compositeur. Leur esthétique présente des points communs, dans le domaine du rythme et de la conduite mélodique notamment, mais Weinberg se singularise par une liberté formelle et un cheminement narratif qui font sa singularité : tel ce Trio op.24 au programme des Metral, et ses quatre mouvements plutôt atypiques, Prélude et air / Toccata / Poem et Finale qui sont autant de pages contrastées dont les musiciens empruntent le parcours étrange et sinueux. Après l' « air » confié au violon, la Toccata lancée par le piano sur un rythme obstiné entraîne violon et violoncelle dans une « course à l'abime » plutôt inquiétante. La tension expressive s'exaspère dans Poem où la longue phrase du violoncelle sous les pizzicati très chostakoviens du violon laisse apprécier le timbre chaud et profond de . La musique prend ici une dimension narrative qui capte l'écoute. La trajectoire du Finale n'est pas moins déroutante, avec sa fugue amorcée par le violoncelle qui noue les trois instruments dans un contrepoint de plus en plus serré avant que les tensions se relâchent et que se décantent les sonorités. Les trois musiciens sont impressionnants, embarqués dans ce maelström sonore dont ils épousent toutes les aspérités.

Ils prennent quelques dix minutes de pause où le public est invité à rester assis avant le début de la seconde partie de la soirée. Puis, est seul au clavier dans Rondo pour Piano « 42nd Street » du compositeur et pianiste disparu il y a 20 ans. Enfant prodige qui compose dès l'âge de onze ans, est une personnalité atypique de la scène contemporaine qui a mené une carrière en marge des institutions et des courants de la création. Il a vingt ans et devient l'assistant de Berio aux États-Unis lorsqu'il écrit ce Rondo diabolique, entre énergie rageuse, déhanchements jazzy et démonstration virtuose. , qui joue la pièce par cœur, n'en fait qu'une bouchée !

Le Trio n° 2 de Chostakovitch de 1944 est écrit à la mémoire du musicologue et ami russe Ivan Ivanovitch Sollertinsky qui venait de disparaître. Les quatre mouvements, quoique relativement courts, semblent conventionnels comparés à ceux du Trio de Weinberg. Pour autant, Chostakovitch nous surprend dans chacun d'eux, débutant sa pièce sur les harmoniques fragiles des cordes (certaines échappent à la vigilance de notre violoncelliste !) dans un temps suspendu, avant que la pulsation ne prenne le dessus (exprimée d'abord par les pizzicati chers au compositeur) dans le moderato d'une facture assez libre également. Le scherzo dure trois minutes seulement, intenses et électrisantes dans l'interprétation de nos trois musiciens. Le Largo, très/trop court également, est une superbe passacaille sous-tendue par la série d'accords obstinés du piano. Violon et violoncelle y entrecroisent leur ligne dans un contrepoint libre et un lyrisme éperdu. Le final est irrésistible, où Chostakovitch cite un thème juif qu'il fera réapparaître dans le non moins célèbre Quatuor à cordes n° 8 : une musique populaire qui ne tarde pas à grimacer, prenant des allures de danse macabre et sardonique sur le mode répétitif et obsessionnel de l'ironie chostakovienne. D'un seul souffle, les musiciens lui confèrent sa dimension orchestrale autant qu'inquiétante, dardant des sonorités chauffées à blanc mais toujours sous contrôle : une très belle interprétation qui ne laisse pas le public indifférent !

Crédit photographique : © Lusankar Productions

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