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Premier enregistrement du Quintette d’Olivier Greif « A Tale of the World »

Le premier enregistrement du quintette A Tale of the World d', disparu il y a 20 ans, affirme à nouveau le caractère émotionnel et spirituel exceptionnel de cette musique, écrite pour un public alors à venir.

Greif écrivait qu'il avait cherché à ce que son Quintette « A Tale of the World » soit une œuvre-monde, à l'instar d'un Proust ou d'un Joyce. L'amie et musicologue , qui défend sans relâche la musique d', établit un parallèle avec le Chant de la Terre. Il y a, il est vrai, une vraie parenté spirituelle dans le mouvement final, de grande ampleur par la durée comme par l'état d'apesanteur. Mais alors que Mahler chantait de manière prophétique un monde qui allait disparaître, Greif donne à ressentir le monde de demain, ou d'après-demain. On songe aussi à la Symphonie n° 15 de Chostakovitch, pour le caractère composite de ces deux pièces qui citent et empruntent à leurs prédécesseurs, comme pour la fusion, la synthèse, au caractère testamentaire, qu'elles font de ces citations. Dans le même cercle des partitions qui sont une expérience de vie, le Concerto pour violon n° 2 d'Allan Pettersson a cette même construction d'un parcours accidenté et multiple qui aboutit à une vaste île lyrique empreinte de spiritualité ancestrale – celle de Bach pour Pettersson, celle du peuple hébreu pour Greif. Pas étonnant dans ces conditions que le considère que A Tale of the World constitue pour des interprètes un Everest, à la fois convoité et quasiment impossible à conquérir.

Décrire cette pièce pour donner envie de l'écouter revient à peu près à tuer la poule aux œufs d'or en espérant en percer le secret. De même qu'en écouter un extrait. Contentons-nous de dire qu'elle est construite « comme il se doit » (indique Greif) sur le chiffre 5, qu'elle exige des interprètes de réciter des textes en différentes langues, qui s'étendent de la Bhagavad-Gita hindouiste à Marcel Proust en passant par une évocation de Hölderin ou de moines en Égypte. Les Syntonia et en particulier la violoniste et le pianiste sont des compagnons de longue date de Greif, puisqu'ils ont créé son poignant Quatuor n° 2 (Clef ResMusica, Titon) et son déroutant Quatuor n° 4 Ulysses (Titon). Ils vivent et font vivre cette musique avec toute l'intensité, le rythme stimulant et finalement l'état de grâce final nécessaires à cette musique, et surtout ils parviennent à donner à l'ensemble cette unité supérieure (celle du chiffre 5, justement) que Greif recherchait à travers une frappante diversité de climats.

Tel est le paradoxe de la musique de Greif. Elle paraît testamentaire alors qu'elle émane à l'époque d'un jeune compositeur de 44 ans (lequel signait avec ce quintette son grand retour à la composition savante occidentale après dix ans d'éloignement spirituel), elle paraît facile d'écoute en morceaux isolés alors qu'elle est intense quand elle est écoutée en un bloc, elle utilise abondamment des éléments du passé, souvent vieux de plusieurs siècle et parfois de plusieurs millénaires, mais paraît étonnement fraîche plus de vingt-cinq ans après sa composition.

Greif n'était pas de son temps car il prônait l'unité par la diversité, alors que son époque s'était construite sur l'hyper-spécialisation du savoir et des hommes. Aujourd'hui son temps ne semble pas encore venu, car ce début de XXIᵉ est en train de développer une réaction collective à cette segmentation en privilégiant la polarisation des opinions les plus sommaires, nourries largement par le rejet de l'altérité. Mais les générations se succèdent, commettent des fautes et s'attachent en même temps à corriger les errements des précédentes. Déjà, point fondamental, l'émotion en musique savante a été réhabilitée. Dans quelques décennies, le public recevra cette musique de l'unité par la diversité comme la chose la plus naturelle du monde. Greif en était convaincu, à notre sens à juste titre, et cet enregistrement est une pierre blanche sur ce chemin.

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