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Laurent Naouri et Frédéric Loiseau transposent des mélodies en chansons

Le Centre de Musique de Chambre de Paris ouvre sa saison en livestream, façon à résister à la crise sanitaire. accommode les mélodies de Fauré, Debussy, Poulenc et Hahn à la sauce chanson française et avec accompagnement de guitare.

Bonne idée, de maintenir la saison sous forme de petits concerts achetables sur internet. Le rapport à la musique en est évidemment modifié : sonorisation à l'émission, puis à la réception chacun chez soi. Dans ce contexte, à quoi bon, pour un chanteur lyrique, mettre sous pression la colonne d'air, ouvrir tous les résonateurs et s'épuiser à remplir un espace vide de public ? La convention lyrique devient obsolète, et si on rêve d'effacer la frontière entre la mélodie française un peu « classique » et la chanson d'auteur, l'occasion était intéressante à saisir avec la sortie du disque « En sourdine » (Alpha) de et Frédéric Loiseau.

aime la chanson française, et il a bien raison. Il nous a gratifié d'une merveilleuse chanson de Guy Béart, Il fait beau, et d'une autre très belle de Hubert Degex, Le quartier des Halles. Chantées avec son timbre noir et velouté, sa diction merveilleuse et le délicieux accompagnement de guitare de , elles ont fait mouche dans l'émotion, dans la puissance d'évocation des climats urbains d'autrefois. Les grands chanteurs lyriques réussissent parfois la chanson française : Ludovic Tézier a chanté Aznavour en concert, et Anne-Sophie von Otter Barbara, avec une authenticité et un succès indéniables. Les exemples abondent où de grands chanteurs lyriques abordent avec bonheur les chansons, les negro-spirituals ou les « traditionnals « .

Mais transformer les petits bijoux de la mélodie française en chansons, ça, c'est une autre affaire. Dépouillées de leur accompagnement au piano, agrémentées d'une guitare un peu jazzy, il est difficile de reconnaître la signature des compositeurs comme Fauré et Poulenc. Surtout quand de surcroit, Naouri et Loiseau ajoutent des reprises comme pour donner des refrains, ou se laissent aller à des improvisations digressives. Ce n'est pas que l'émotion soit absente, c'est que le style est totalement modifié. La vocalité devient celle d'un chanteur de variété qui chante dans son micro, comme jadis l'excellent Yves Montand, et non pas d'un artiste lyrique. Si la diction de Naouri est magnifique, totalement transparente et propre à faire briller les textes d'Aragon, Apollinaire, Sully Prudhomme, Baudelaire…, le style chansonnier choisi l'amène à des liés excessifs à la limite du crooning. Les berceaux de Fauré deviennent un proche cousin des Feuilles mortes de Kosma et l'Heure exquise de Hahn perd une grande partie de son charme, fondue dans une esthétique étale, un climat feutré univoque qui devient vite ennuyeux.

Laurent Naouri cite pour justifier sa démarche , selon qui « la mélodie et la chanson sont à deux doigts l'un de l'autre ». Mais ces deux doigts-là, Hahn lui-même ne les a pas pliés. Il y avait peut-être des raisons à cela…

Crédit photographique : © Bernard Martinez

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