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La forge hurlante de Yann Robin

Tendre vers des sonorités « au-delà de la perception humaine », c'est l'utopie toujours au cœur du travail de qui s'exprime dans les deux pièces orchestrales d'envergure (Inferno et Quarks) que réunit ce nouveau CD monographique.

« C'est en repensant les limites instrumentales qu'on repousse les barrières de l'imaginaire », nous dit le compositeur qui met le soliste au centre de l'écriture dans son concerto pour violoncelle Quarks convoquant le fougueux au côté de l'Orchestre de Lille dirigé par . Les hauteurs sont ici neutralisées au profit d'une matière saturée dont les composantes se définissent en termes de registres, de couleurs, de qualité granulaire voire bruitée : la courte cadence qui débute le concerto donne le ton. L'orchestre s'entend comme le prolongement de la partie soliste qu'il met en résonance et « traite » en temps réel, comme pourrait le faire l'électronique. À défaut de le voir, on peut imaginer le geste sur-vitaminé et l'énergie hors-norme déployée par le « performer » confronté à une écriture qui transgresse très largement les limites du jeu traditionnel. C'est un corps-à-corps spectaculaire avec l'instrument qu'engage et dont l' flamboyant se fait l'écho : une musique survoltée qui n'en dessine pas moins une trajectoire dûment articulée.

Inferno (2012-2014) est à ce jour la pièce la plus ambitieuse en termes de durée (42′) et d'effectif : un orchestre de quatre-vingt dix musiciens, celui de Lille toujours, conduit cette fois par et augmenté d'une partie électronique en temps réel. L'œuvre est conçue dans la continuité de Vulcano (écrit pour l'Ensemble Intercontemporain en 2010) qui en appelle au dieu du feu et des forgerons. Le texte de La Divine Comédie de Dante sous-tend ici la grande forme tandis que La porte de l'Enfer sculptée par Auguste Rodin, et la contorsion des corps évoluant en spirale, enflamment l'imaginaire sonore de notre saturationniste. Dans la pochette de disque, c'est La carte de l'Enfer de Sandro Botticcelli qui apparaît, un cône renversé à l'image de la descente effectuée par Dante guidé par Virgile à travers les neufs cercles infernaux. Dès le début de ce voyage imaginaire, l'électronique confère une aura de mystère, initiant le mouvement circulaire qui prévaut dans l'écriture orchestrale : sons-toupie des flûtes qui s'échappent du sonore, « riffs » des basson et clarinette en sons multiphoniques que l'électronique traite en direct et spatialise. La captation live restitue au mieux l'énergie cinétique des sonorités orchestrales même si l'enregistrement ne peut prétendre à l'effet 3D. Semblant défier la résistance du bloc terrestre, le flux énergétique de l'orchestre s'engouffre à grand fracas dans « l'entonnoir » selon la vision dantesque de l'abîme qui se creuse ; vise les fréquences ultra-graves (infra-sons) que l'on ressent à travers le corps et qui, paradoxalement, vont « révéler le haut », fait remarquer le compositeur. Ainsi Inferno se pare t-il de superbes images spectrales qui mesurent la dimension abyssale et dardent leurs couleurs dans un temps étiré que vient magnifier la magie de l'électronique.

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