- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Concert russe pour Andris Nelsons et le Gewandhausorchester

De retour à son répertoire russe de prédilection, après quelques incursions dans le répertoire germanique, à la tête du Gewandhausorchester de Leipzig referme le troisième volet de la trilogie du fatum de Tchaïkovski pour le label Accentus music avec cette admirable Symphonie n° 4, appariée au Concerto pour trompette de Weinberg et à l'Ouverture de la Khovanchtchina de Moussorgski.

Dans une séquence classique, ce concert débute par l'Ouverture de la Khovanchtchina de dans l'orchestration de Dimitri Chostakovitch : un lever du jour sur la Moskova qui permet d'emblée d'apprécier toute la souplesse, la fluidité et la magnifique sonorité de la phalange saxonne dans une interprétation chargée de poésie, très romantique et très slave, au fort potentiel d'évocation, portée par la douceur des cordes, la rondeur de la clarinette, ponctuée par le glas lugubre des cloches et les notes égrenées menaçantes de la harpe et du célesta.

Si la direction d' s'était quelque peu alanguie dans l'évocation de l'aube moscovite en laissant librement respirer l'orchestre, c'est à l'inverse un chef très attentif, le nez dans la partition, qui dirige le redoutable et virtuose Concerto pour trompette de Mieczysław Weinberg, avec en soliste. Trois mouvements haletants pour cette œuvre en forte sympathie avec Dimitri Chostakovitch, véritable symphonie avec trompette obligée, composée en 1968 pour le trompettiste Timofey Dokshitzer. Etudes-Allegro molto, le premier mouvement, chaotique figure le cri d'une humanité moribonde et pantelante alternant faux lyrisme et sursauts de violence (phrasé acéré et ruptures rythmiques) sur une musique de cirque sarcastique et fortement cuivrée d'où émerge la cantilène de la trompette chargée de drame et de nostalgie. Partition périlleuse s'il en est, on admire, ici, la rigueur des interventions individuelles, la cohésion et la réactivité du Gewandhausorchester, comme la prestation de haute tenue du soliste. Le second mouvement, Episodes-Andante attaca, tendu et douloureux, entame un énigmatique dialogue, plus apaisé, avec la flute, sorte de déchirant lamento s'élevant au milieu d'un désert orchestral. Fanfares, mouvement final joué enchainé, fait, quant à lui, la part belle aux percussions et à une cadence du soliste se déployant au sein d'une musique fantomatique (vibraphone et célesta) sans cesse au bord de l'éclatement dans un foisonnement de timbres (harpe, violoncelle, contrebasse, bois, violon solo) avant l'accord conclusif préludant à un triomphe mérité du trompettiste suédois.

Après une Symphonie n° 6 (2018) et une Symphonie n° 5 (2019) unanimement acclamées, le chef letton complète son cycle des grandes symphonies de Tchaïkovski avec une Symphonie n° 4 dont l'interprétation s'inscrit dans la droite ligne de celle tracée par son maitre Mariss Jansons. Irréprochable de bout en bout la phalange saxonne est un allié de choix dans cette interprétation éminemment romantique et lyrique qui préfère l'hédonisme à l'âpreté de certaines lectures russes, comme celle de Mravinsky notamment. Ouvert par la fanfare de cuivres, on apprécie, dans l'Andante sostenuto initial, le lyrisme et le legato des cordes tandis que les cuivres entretiennent un sentiment d'urgence, de menace et d'accablement. Le chef letton utilise les masses orchestrales pour appuyer le climat de menace latente, sans sacrifier la clarté de discours, ni l'équilibre entre les pupitres. L'Andantino apporte un moment plus serein, cantabile et hédoniste, riche en nuances et variations rythmiques, sur un tempo assez lent où se distinguent plus particulièrement hautbois, basson et cordes. Célèbre et très attendu le Scherzo affiche une belle dynamique, jubilatoire, entretenue par des pizzicati qui manquent peut être un peu de tranchant, faisant contraste avec les stridences des bois. Le Finale, très théâtral, presque hollywoodien, sait judicieusement entretenir un climat d'inquiétude avant la cavalcade finale, incandescente, ponctuée par les sonneries du destin…

Une prise de son idéale et une caméra très affutée captant toutes les expressions et mimiques du chef letton, ajoutent encore à l'intérêt purement musical de ce DVD pour en faire un beau témoignage qui complétera avantageusement les précédentes publications.

(Visited 522 times, 1 visits today)