Dans des conditions artistiques adaptées à la situation sanitaire, c'est à un Vivaldi intime que nous convient Hervé Niquet et son Concert Spirituel avec un concert diffusé en ligne depuis le Théâtre du Châtelet.
Les touristes férus de Venise connaissent bien l'histoire et le sort des jeunes orphelines d'autrefois, recueillies dans des hospices caritatifs qui permettaient aux plus douées d'entre elles de s'adonner aux joies de la pratique musicale. Hervé Niquet ne manque pas de raconter au cours du concert, avec sa verve et son humour coutumiers, quel était le quotidien de ces jeunes pensionnaires quelque peu exposées aux oreilles masculines qui venaient se délecter du son de leurs voix. Ce concert donné au Théâtre du Châtelet en livestream aura au moins innové quant à la création d'une véritable complicité entre artistes et interprètes. Comme il sait si bien le faire, Niquet interpelle le public, qu'il imagine confortablement installé non pas dans la salle mais devant son écran, allant jusqu'à applaudir lui-même ses propres musiciens, dont il sait aussi se moquer affectueusement. Les chanteuses du XVIIIᵉ siècle, nous apprend-il, ont été remplacées pour les besoins du concert. Pitreries, nous dira-t-on ? Au moins la certitude que la musique et les musiciens restent bien vivants, contrairement à certaines captations qui restent globalement glaçantes dans leur conformisme et leur conventionalité.
Le programme donné par Hervé Niquet et son Concert Spirituel, déjà enregistré en 2015, est exclusivement constitué de pièce vocales écrites par Vivaldi à l'intention des orphelines de l'Ospedale della Pietà. Il s'agit donc de morceaux composés pour double chœur féminin, chacun des deux chœurs étant conçu pour être placé d'un côté de la tribune. Ces pièces sont loin d'être toutes des chefs d'œuvre, et l'on mesure à quel point il devait être difficile pour un compositeur de produire de la musique techniquement accessible à des interprètes amateures. Font évidemment exception à ce constat l'excellent Magnificat en sol mineur, composé relativement tôt dans la carrière de Vivaldi, ainsi que le frémissant Gloria en ré majeur, bien connu du grand public dans sa version pour quatre voix « Soprano-Alto-Ténor-Basse » et dans une version orchestrale considérablement enrichie (présence de cors, trompettes, etc.). Sans doute inspiré par les conditions sanitaires que nous connaissons aujourd'hui, le Concert Spirituel a fait le choix de privilégier la version originale pour voix égales (deux parties de soprano et deux parties de mezzo), accompagnées d'un double orchestre à cordes et du continuo. Les parties solistes sont ainsi interprétées « en chapelle », c'est-à-dire par une sélection de choristes. L'occasion pour nous de nous féliciter de la qualité et de la fraîcheur des chanteuses du Concert Spirituel, ainsi que de la précision et de la souplesse des instrumentistes. Ce Vivaldi relativement intime, qui nous est finalement peu connu, est en parfaite harmonie avec le mode « réduit » sur lequel nous vivons la musique et la culture depuis maintenant trop longtemps. Un grand merci pour ce bel acte de résistance.
Crédits photographiques : Le Concert Spirituel © Thierry Lechanteur
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