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Le Manoir hanté de Moniuszko : une histoire polonaise

L'opéra le plus célèbre de est enfin visible en DVD. Une œuvre très divertissante, mais aussi une leçon d'histoire.

En ce qui concerne le romantisme polonais en musique, « deux compositeurs devraient bénéficier d'une reconnaissance mondiale : Chopin – c'est fait – et Moniuszko » confesse Stanisław Leszczyński, vice-directeur du NIFC (Institut National Frédéric Chopin), directeur adjoint du Teatr Wielki de Varsovie, où le compositeur de Halka et de Straszny Dwơr (Le Manoir hanté) fut en son temps responsable des productions polonaises et, jusqu'à son dernier souffle, chef d'orchestre. Moniuszko, nous apprend-on encore, était passé maître dans l'art de contourner une censure qui devait sévir jusqu'en 1989.

Ce qui n'empêcha pas la carrière du Manoir hanté (son huitième opéra sur dix) de s'interrompre dès après la troisième représentation : le divertissement à succès dissimulait de fait le militantisme d'un livret qui met en scène deux garçons ayant fait vœu de célibat afin de consacrer leur corps à leur patrie. Un patriotisme affiché tout sauf malaisant : Moniuszko rappelle ainsi que la Pologne, alors sous triple influence russe, allemande et austro-hongroise, n'existait tout simplement plus sur la carte de l'Europe !

David Pountney a bien saisi tout cela. Au Prélude, il peint sur le rideau de scène une évocation de l'insurrection de janvier 1863 contre la Russie. Au Finale, il convoque une symphonie de rouge et blanc, couleurs nationales mais aussi du Theatr Wielki. Le goût très sûr du metteur en scène anglais éclate à chaque instant dans le beau décor de Leslie Travers : un rectangle de faisceaux de néons découpant le large cinémascope scénique d'une chambrée militaire, la diagonale démesurée d'un escalier, la mobilité de superbes tableaux de maîtres grandeur nature, une délicieuse maquette, celle du fameux manoir. Les spectres, en fait deux apparitions féminines, dont le charme opérera sur les jeunes gens, mettront bien sûr un terme à un vœu pieu que tous décideront de léguer à leurs descendants : la résistance continue… Danses et chansons feront même taire d'anxiogènes vrombissements aériens venus rappeler la tenace menace de l'Histoire.

L'orchestration du Manoir hanté, biberonnée à la Mazurka, à la Cracovienne et, bien sûr, à la Polonaise, est habile, mais l'inspiration mélodique en-deçà de Dvořák, Smetana, sans parler de Janáček, autres pointures « folkloristes ». Ce serait beaucoup demander à la fugace mélancolie du tableau des apparitions sous la cire, comme à celle du carillon de l'air de Stefan. Pourtant l'on prend un plaisir extrême aux trois heures passées à visionner le spectacle conçu par David Pountney, de fait le plus grand sujet de satisfaction de cette parution.

On n'a guère envie, à l'audition d'une œuvre pas loin de flirter avec l'opérette, de chipoter quelques voix pointant l'âge de leur personnages. L'abattage scénique de la marieuse-tireuse de ficelles (Anna Borucka) l'emporte presque sur des amants (Edyta Piasecka, Elżbieta Wróblewska, Tadeusz Slzenkier, Rafał Siwek) impliqués et appliqués. L'entrain du chœur, de l'orchestre et du chef maison () sont des plus communicatifs. Qui de mieux qu'une équipe 100 % polonaise pour faire passer la leçon ?

Niché dans un très joli livre-disque, ce Manoir hanté ne peut cependant pleinement s'apprécier qu'à condition de maîtriser, sinon le polonais, du moins l'anglais, seuls sous-titres proposés.

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