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La vanità del mondo par Philippe Jaroussky : pour ou contre ?

À l'heure où la musique classique en général, et le baroque en particulier, sont friands de nouveauté, à la recherche d'œuvres jamais entendues jusqu'ici, de partitions redécouvertes ou de versions « originales », l'album de propose cinq airs en première mondiale. Avec ce « Pour et contre », nous vous présentons deux opinions contrastées sur cette parution.

Un programme original pour des moments de bonheur musical

Comme la plupart des récitals de musique vocale baroque, cet album pourrait tomber dans le piège de la monotonie résultant de l'alternance entre airs rapides et pièces méditatives ou élégiaques. Ce serait compter sans l'originalité du programme, qui fait découvrir non seulement de nombreuses pages jamais enregistrées – cinq premières mondiales, une première en studio –, mais également une tradition musicale dont nous ne maîtrisons pas encore toutes les clés.

Ce nouveau disque de est ainsi exclusivement consacré aux oratorios italiens que l'on donnait, généralement lors du Carême, dans les établissements religieux ou dans les palais privés des grandes villes européennes lors de la fin du XVIIe et de la première moitié du XVIIIe siècle : Rome, Venise, Naples, mais également Vienne, Bruxelles ou Munich. Représentés dans des conditions dont nous ne savons pas grand-chose – décors ? action scénique ? –, ces oratorios en langue « vulgaire » – italien et non latin – étaient généralement de la plume des mêmes compositeurs que ceux qui régalaient le public de leurs opéras. Relativement peu connus des mélomanes, on notera la présence au programme de , Fortunato Chelleri et , musiciens dont la veine mélodique fort appréciable sera une révélation pour beaucoup. Elle ne va pas jusqu'à égaler, cependant, le miracle de suspension du temps dont fait preuve Scarlatti pour la sublime berceuse que chante pour le redoutable Holopherne sa vieille nourrice. Cet air de La Giuditta de 1697 justifierait à lui seul l'acquisition de l'album.

Jaroussky est à la hauteur de sa réputation. Un rien dépassé par les déchainements de vocalises des airs virtuoses – la colère de Dieu dans Dio sul Sinai, la fureur d'Achior de la Giuditta de Marcello… –, ce musicien éminemment chambriste se voit en revanche stimulé par les conflits intérieurs des personnages aux humeurs moins passionnelles que celles des héros d'opéra dont il est davantage coutumier : les doutes d'Augustin avant sa conversion, les craintes du Messager devant la Mer Rouge, les affres amoureuses de Jean-Baptiste, les conseils de l'Ange du ciel à Sainte Fermina sont davantage dans les cordes du contreténor français, qui déploie dans les passages lents et méditatifs les mille couleurs dont est capable son instrument. L', qu'il dirige avec précision et sobriété, joue et respire au rythme du chanteur, proposant à l'auditeur de réels moments de bonheur musical. (PD)

Un disque en manque d'inspiration

Apparaissant depuis 1999 dans trente-six enregistrements, dont près de la moitié sont des récitals sous son nom, nous livre ici un album loin de son talent réel. Ne faillant pas à l'appât commercial que représente l'appel de la mode, il se fait fort d'offrir pas moins de cinq airs en première mondiale composés par quatre compositeurs oubliés. Malgré cela, ce disque semble conçu dans la précipitation. Comme s'il était arrivé au bout de son souffle, chanter ne lui suffit plus, Philippe Jaroussky se mue en chef d'orchestre. Ainsi, même si ce n'est pas le premier disque où il dirige, une bonne partie de son inspiration s'éparpille dans le contrôle d'un ensemble par ailleurs solide et dynamique.

D'un chanteur qui prétend « incarner un saint ou même parfois Dieu » (?) ainsi qu'il le déclare au dos de son album, on attendrait de sa part beaucoup d'introspection et d'humilité. Au lieu de cela, avec une voix de plus en plus dénuée d'ampleur et de grave, il débite les paroles de ces oratorios distillant l'ennui dont il couvre, par exemple, le sublime Lascia la spina, cogli la rosa de Haendel chanté (beaucoup mieux) par tant d'autres interprètes. Pensant qu'il suffit de prendre des tempos excessivement lents pour illustrer la profondeur du sacré, Philippe Jaroussky se trompe de cible. Quand les rythmes s'animent, ses vocalises deviennent aussi caricaturales que celles dont nous abreuvent tant et tant de contre-ténors en mal de reconnaissance.

Certes, une certaine tradition veut que le chant sacré ne s'exprime qu'avec des « voix blanches ». Ici, la « blancheur » de Philippe Jaroussky parait excessive. Dotée d'un vibrato ténu, et sous prétexte de technique vocale, n'ayant plus d'autres couleurs qu'un bavardage souvent excessif, le contre-ténor français se fourvoie dans la démonstration qui a peu affaire avec le sacré. A l'exemple de ce Tuona il ciel, cet air tiré de La Giuditta de qui laisse plus penser à une averse de grêle qu'au tonnerre des cieux, tant le déferlement des vocalises de Philippe Jaroussky se fait insupportable.

Philippe Jaroussky n'est certes pas un chanteur de variété mais, dans Les Feuilles mortes de Prévert et Kosma telles qu'ils les a chantées lors du Concert de Paris le 14 juillet 2013, il démontre plus d'esprit sacré et d'inspiration que dans cet album d'airs d'oratorios. (JS)

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