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Les bestiaires de Poulenc, Ravel et Zavaro par Les Apaches et Stéphane Degout

Sous le regard impavide de Parkie, l'éléphante du Sri Lanka arrivée à Paris en 1798 et d'autres augustes sculptures et bronze, dans l'immensité majestueuse de la nef du Musée d'Orsay, l'ensemble délivre un concert qui, de Milhaud à Zavaro, en passant par Poulenc et Ravel, porte différents regards sur les animaux et la nature, et donc sur la nature du rapport que l'Homme entretient avec le monde vivant.

Dans le contexte actuel d'épidémie de zoonose planétaire, due de toute évidence à une pression excessive de l'espèce humaine sur les habitats des autres espèces animales, la réflexion en musique qui nous est proposée, au travers de la thématique « Des animaux et des hommes », est non seulement d'une grande pertinence, mais d'une urgence douloureuse. « La création de Monde » de introduit, par son nom-même, le thème-force du concert, et rappelle que l'Homme et la Femme ont été créés, selon le texte de Cendras (lui-même en référence à des mythologies africaines) après la flore et la faune.

La direction de , calme, fluide et transparente, a pour effet de présenter cette invitation à l'introspection plutôt que d'exalter le déchainement des énergies vitales premières à des fins de ballet. « Le bestiaire ou cortège d'Orphée » de Poulenc/Apollinaire et les « Histoires naturelles » de Ravel/Renard présentent des analogies et des anthropomorphismes dont on connaît le charme et la valeur poétique. A noter pour Ravel la nouvelle orchestration d'Anthony Girard, délicate et colorée, très fidèle à l'écriture du compositeur et à la poésie de Jules Renard. Avec Zavaro, on rentre dans le tragiquement contemporain : « Le bestiaire disparu » présente avec pudeur et émotion les portraits de sept animaux disparus du fait des activités humaines. Le duo intime du violon et du violoncelle joue de rythmes et de mélodies finement évocatrices du comportement ou de l'apparence de ces animaux, crapaud doré du Costa Rica, dauphin de Chine, loup de Tasmanie, etc… Toujours de Zavaro, le « Bestiaire chimérique » dont ce fut la création sur commande, nous met face à nos responsabilités. Les textes mis bout à bout de Francisco Goya, Marco-Polo, Gustave Flaubert, Alfred Lord Tennyson et Jean-Baptiste-François Hennebert, avec des phrases comme « Le sommeil de la raison engendre des monstres… » et « Ô Nature, les hommes seront-ils jamais contents des merveilles que tu exposes à leurs yeux ? » sont autant de soufflets pour nos bien-pensances, accentués par des sonorités graves d'une noirceur étourdissante et des mises en demeure vocales qui confinent au cri de désespoir. Un programme dense et puissant, donc, mais jamais lourd, toujours empreint d'élégance et de gravité.

chante avec cette distinction et cette sobriété que nous lui connaissons. Sa diction est admirable et même avec un orchestre et sans sous-titres, on comprend chaque parole qu'il chante. Tout au plus pourrait-on regretter parfois l'absence de cet humour ou de cette ironie que savaient mettre chez Poulenc et Ravel ses vénérables prédécesseurs (Souzay, Bacquier, Van Dam…), mais dans le contexte réflexif de ce concert, cette absence-là est finalement bienvenue. Il atteint dans le « Bestiaire chimérique » de Zavaro une dimension prophétique impressionnante, totalement accordée au sens du texte et de l'ensemble du concert. L'ensemble est tout-à-fait remarquable de justesse et d'homogénéité. Son chef donne de toutes ces œuvres une lecture claire et énergique, bien mesurée, sans excès de lyrisme ni brutalité rythmique. Dans le duo chambriste du « Bestiaire disparu », disséminé par petites touches tout au long du film, Magdalena Sypniewski au violon et Alexis Derouin au violoncelle rappellent avec émotion et dignité la tristesse de la disparition progressive des espèces animales. Il faut enfin signaler la qualité de la filmographie, signée par Gordon et François-René Martin.

En cette période d'hibernation forcée de la vie culturelle, une « capsule » captivante, d'une grande élévation de pensée, de poésie et de musique, à ne pas rater.

Crédit photographique : © Sophie Crépy / Musée d'Orsay

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