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Sources antiques et magie primitive chez Bruno Ducol

Si les références littéraires abondent dans cet album monographique réunissant quatre pièces chambristes de , elles s'abreuvent pour la plupart aux sources de la Grèce antique dont le compositeur se fait le chantre inspiré autant que passionné. 

Adonaïs ou l'air et les songes (2016), la pièce maîtresse de ce CD, est une épitaphe sur la mort de Charles S. Le texte anglais en cinq « chants » s'inspire de la longue élégie de Percy B. Shelley sur la mort de John Keats, invoquant Nature et divinités selon le rituel antique : « Il n'est pas mort, il ne dort point / Il ne fait plus qu'un avec la Nature », écrit le poète. Il importe à de donner au texte tout à la fois sa lisibilité et sa valeur plastique et sonore en tressant avec une minutie d'orfèvre un continuum entre la voix et les instruments à cordes.

Véritable tragédienne habitée par son texte, la soprano est amenée à explorer toutes les capacités de son registre, louvoyant avec une remarquable fluidité entre voix parlée et chantée ; elle donne une « lecture » aussi sensible que vibrante du verbe anglais dont les couleurs et intonations sont répercutées et prolongées par le quatuor à cordes, les interprètes donnant eux aussi de la voix. Ducol fait appel aux techniques de jeu étendues élargissant la palette des sonorités instrumentales qui évoquent parfois quelque psaltérion antique. La voix est quasi a cappella dans Lost Echo (II) laissant apprécier la conduite éminemment souple de la ligne vocale dont Ducol aime styliser les allures, tel ce « trillo di gorgia » emprunté à Monteverdi ou encore ces retombées glissées qu'il affectionne tout particulièrement.

On retrouve la voix de dans Tout le jaune se meurt (2016), pièce pour voix soliste d'après Les Fenêtres de Guillaume Apollinaire au sein de laquelle on sent ce même désir/plaisir vital chez Ducol de faire chanter les mots et de jouer avec leur résonance : roulement des « r » (rouge) comme un flatterzung instrumental, coloration du souffle dans l'inspire : le compositeur évoque un théâtre du geste. La soprano traverse le cycle des saisons, du rouge au vert, du blanc neigeux au violet, avec une agilité et un naturel qui nous ravissent. La diction est exemplaire et la fraicheur du timbre vitalisante.

Les deux pièces instrumentales qui complètent l'album font plus directement encore référence à la civilisation hellénique. A Corinna n°II (2015) pour quatuor à cordes rend hommage à la poétesse grecque du VIᵉ siècle av. J.- C. et à ses vers « mesurés à l'antique » dont les rythmes infiltrent l'écriture. Si l'œuvre procède par séquences juxtaposées, elles sont « les reflets mouvants » (variations) de cellules génératrices qui régissent la grande forme. Couleurs et temporalités s'y renouvellent d'autant sous les archets des Béla dont la maîtrise très fine des techniques de jeu confine à l'inouï du timbre. Hymne au soleil pour flûte et trio à cordes est adressé au Quatuor Helios (du nom du Dieu grec du soleil) qui en assure la création en 2015. La flûtiste est aux côtés des Béla dans cette invocation faisant référence au « Poïkilon » des Grecs. Le terme, explique le compositeur, désigne « l'infinie variété des lumières et couleurs qui émanent du soleil ». Flûte et cordes fusionnelles engendrent un riche nuancier de timbres et de textures quand le mètre grec, le Pean en l'occurrence, gouverne la structure. Les vers (ceux de Mésomède de Crète) sont scandés par les musiciens dans la langue du poète, conférant à la musique sa part de mystère et de magie primitive.

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