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Fritz Reiner à Pittsburgh, réédition des premiers enregistrements d’un géant

Formidable bâtisseur d'orchestre, avait reconstruit celui de Pittsburgh de 1938 à 1948, avant de faire de celui de Chicago l'une des meilleures phalanges du monde. Sony réédite ses gravures de Pittsburgh, un legs moins important en nombre, mais à peine moins essentiel que celui de Chicago, qui témoigne de l'art et du goût de la perfection de l'implacable maestro hongrois.

Né en Hongrie en 1888 mais naturalisé américain en 1928 et mort à New York en 1963, demeure l'une des figures légendaires de la direction d'orchestre au XXᵉ siècle. Son perfectionnisme acharné, son autoritarisme quasiment dictatorial sont restés célèbres. Arrivé à la tête de l'orchestre de Pittsburgh en déliquescence en 1938, il en fit en dix ans l'une des meilleures phalanges américaines. Si sa période la plus éclatante fut celle de son mandat à Chicago, largement documentée par RCA, Reiner avait déjà gravé une discographie conséquente à Pittsburgh sous l'étiquette Columbia, que l'on trouve ici dans ce coffret de quatorze CD assez peu remplis et qui comporte aussi quelques enregistrements sans le maestro, respectant ainsi les couplages des microsillons d'origine.

Tout n'est pas idéal certes, et les concertos brandebourgeois relèvent d'une esthétique aujourd'hui assez dépassée, tout comme la Suite n° 2 de Bach avec son effectif de cordes imposant ou la petite fugue BWV 578 dans une orchestration pachydermique de Lucien Cailliet. Quant aux extraits du Magnificat et de la Messe en si sous la direction de Daniel Saidenberg, ils ne donnent pas une brillante image de la contralto Carol Brice, qui dépare également les Fahrenden Gesellen cette fois heureusement sous la baguette de Reiner. Si l‘on salue une Symphonie n° 2 de Beethoven et des n° 35 et n° 40 de Mozart tirées au cordeau, ainsi que de beaux extraits de Don Giovanni avec Ljuba Welitsch et (la soprano chantant seule quelques mélodies de Dargomisky, Moussorgsky, Marx et Strauss), c'est évidemment dans l'incendiaire scène finale de Salomé que cette dernière atteint à l'inoubliable. Les sont d'ailleurs tous fabuleux, le sens de la perfection orchestrale exigé par Reiner trouvant pleinement à s'exprimer dans une Heldenleben d'un héroïsme conquérant, un Don Juan foudroyé en plein vol, aussi un Bourgeois gentilhomme plein d'ironie et surtout un Don Quichotte sublimé par le bouleversant Piatigorsky qui suffisent à eux seuls à rendre ce coffret indispensable.

Le récital orchestral Wagner se situe sur les mêmes cimes et montre le niveau de l'orchestre (quelles cordes dans le prélude de l'acte 1 de Lohengrin !). L'ensemble est encore rehaussé par transcendant dans un Concerto n° 1 de Brahms survolté, Brahms dont Reiner offre un délicieux florilège de danses hongroises, leur conférant un charme inattendu qui nimbe aussi trois valses de Strauss. Autre sommet évident, le Concerto pour orchestre de auquel Reiner apporte un sens inné de la respiration et une virtuosité orchestrale transcendante, qualités qui illuminent aussi ses enregistrements de Weiner et Kodály. La musique du XXᵉ siècle tonal convenait particulièrement au chef comme le montrent aussi ses suites de Falla et Gershwin, ou sa Symphonie n° 6 de Chostakovitch, mais également une Valse de Ravel assez effrayante et une Iberia de Debussy gorgée de rythmes ensoleillés. Quelques miniatures gravées à l'époque du 78 tours complètent ce coffret passionnant, présenté avec un soin éditorial extrême.

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