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Une compilation en demi-teinte des symphonies de Chostakovitch chez Alto

Composer une anthologie des symphonies de n'est pas chose aisée. Non seulement la discographie est immense, mais se posent aussi nombre de problèmes de droits qui interdisent la publication de bien des références. De fait, ce coffret réunit à la fois des témoignages majeurs et des gravures de second ordre.

Découvrons les approches de chaque chef en commençant par ceux qui nous semblent les moins pertinents. Il est navrant de constater que ce sont les interprétations du propre fils du compositeur qui s'avèrent les plus décevantes. La Symphonie n° 5 est sans âme, sans projection sonore. Pas d'engagement, pas de défi à relever dans cette lecture qui se refuse à toute narration. Le rapprochement avec les univers de Beethoven et de Mahler aussi bien dans le développement que dans la forme – mélange de grandeur et d'ironie, d'abattement et de marche militaire – tout cela est absent dans cette version ainsi que dans celle de la Symphonie n° 10. Le Symphonique de Londres est passé à côté des œuvres, figé dans une mollesse et une passivité désespérantes. Les extraits de la musique de film du Taon sont plus probants. Ce divertissement percussif et aux lointaines couleurs italiennes pose moins de questions. Proche de Chostakovitch, fantastique altiste et arrangeur hors-pair, Rudolf Barshaï n'a pas été un grand chef d'orchestre et son intégrale Chostakovitch a fait long feu. La Symphonie n° 4 – la plus mahlérienne avec la Symphonie n° 10 – est conduite sans beaucoup de saveur, avec trop de baisses de tension. Sous la baguette de – un chef à la carrière moscovite prestigieuse – la Symphonie n° 7 dite « Leningrad » laisse pourtant de marbre. Des cordes dures et nulle prise de risques dans une approche peu inspirée : la comparaison avec Ančerl, Bernstein, Jansons, Gergiev, Kondrachine et Svetlanov est édifiante. Dans la Symphonie n° 11, s'en sort mieux, ici, avec le Symphonique de Londres qu'avec le National de Washington (Teldec) dont l'intégrale est passée aux oubliettes. Le chef russe n'est pas aidé par l'acoustique sèche du Barbican de Londres. Le souffle épique qui culmine dans le mouvement Le Tocsin s'en trouve systématiquement brisé. C'est dommage car la lecture de cette symphonie sous-estimée est précise et contrastée. En privé, Chostakovitch précisa que l'œuvre dépassait largement le simple hommage aux victimes de la Révolution : « La symphonie a pour objet de décrire le peuple qui a perdu la foi ». Après la disparition de Staline, les artistes avaient espéré profiter d'un “dégel”, mais l'écrasement de la révolte hongroise en 1956 chassa leurs illusions.

Passons à présent, aux belles redécouvertes. Les Symphonies n° 6 et n° 14 sont placées sous la direction de (fils du chef Michael Jurowski). Le premier opus gravé avec le Philharmonique de Londres (2013) supplante sans conteste la mouture antérieure du chef avec l'Orchestre national de Russie (2004), qui était franchement loupée. Les grimaces « à la Rossini » de l'écriture et la virtuosité rythmique servent de combustible à cette partition pleine de dérisions. Jurowski maîtrise habilement ce monde sonore peuplé de fantômes et d'aigreurs. – un peu juste dans les notes basses – et , impérial, forment un duo convaincant dans la Symphonie n° 14. Les changements de climats s'imbriquent avec naturel et l'émotion n'est pas feinte.

De son côté, et l'Orchestre du Mariinski (sous licence LSO Live) offrent une lecture passionnante de la Symphonie n° 2. L'écriture constructiviste qui appartient aux courant révolutionnaires de l'époque, celle des Mossolov, Lourié et Roslavetz révèle le génie du jeune Chostakovitch. La virtuosité des solistes (cuivres, violon solo) n'est pas étrangère à la réussite de cette version, l'une des références modernes de l'œuvre. Les mêmes interprètes s'amusent avec panache dans la Symphonie n° 9. On doute que l'enregistrement ait été effectué, comme indiqué, en 2015, à Pleyel. Il s'agirait plutôt d'un live du Mariinski datant de 2012.

Guennadi Rojdestvensky et sa phalange du Ministère de la culture d'URSS représentent un cas unique. Les défauts de la formation, sa sonorité unique si typée des années 70 et 80 heurtent nos oreilles et révèlent avec d'autant plus de vigueur, les messages des Symphonies n° 1 et n° 3. La légèreté et la fraîcheur de la direction explorent chaque recoin de ces pages persiflantes, tourbillons de colères aussi brutales qu'énigmatiques. Le label a ajouté quelques pièces de jeunesse – Thème et Variations ainsi que le Scherzo – d'une veine encore tchaïkovskienne. Elles sont accolées à la pochade militaire Ouverture de Fête gravée en 1983 avec le Symphonique d'URSS, préférable à la version de 1972 avec l'Orchestre symphonique académique. La musique de scène du Roi Lear, dirigée par – il fut assistant de Mravinski à Leningrad – est bienvenue. Le chef offre une version pétillante de cette musique dont Chostakovitch avoua, en privé, qu'elle était une condamnation mordante de la politique de stagnation de Brejnev.

Ne pas inclure dans une intégrale des symphonies eut été incompréhensible. La Symphonie n° 13 « Babi Yar » nous est proposée non pas dans la version habituelle de 1967, mais dans celle captée deux jours après sa création, le 20 décembre 1962. Ce document exceptionnel parut chez Praga Digitals. Le chœur chauffé à blanc soutient la basse Vitaly Gromadsky et on ressent à quel point les artistes communient dans un moment extraordinaire. Kondrachine conduit tout aussi magistralement la Symphonie n° 15. Si les allusions et les collages prêtent à sourire, c'est pourtant la thématique de la mort qui s'impose, unissant dans cette œuvre testamentaire, l'héroïsme à la tragédie.

assura la création de la Symphonie n° 10 dont Alto publie un concert radiodiffusé de “1954” (du 24 avril, précisément). Il est mentionné par erreur comme étant celui de la création alors qu'elle eut lieu le 17 décembre 1953. Le label Saga publia ce document réalisé en studio. Malgré un travail de remastering, il est à la limite de l'audible. Mravinski dirige également la Symphonie n° 12 dont il donne une lecture burinée avec des cordes saisissantes de violence et de souplesse. Il s'agit de la version de 1962 captée à Prague et non celle de 1961 à Moscou ou de 1984 à Leningrad comme le laisse croire le label. Pour la Symphonie n° 8, Alto a repris la gravure du 28 mars 1982 parue chez Philips. L'acidité des voix aigues a été en partie gommée et la spatialisation est plus équilibrée. Un incunable de la discographie !

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