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Symphonie n° 12 d’Allan Pettersson par Christian Lindberg, pour un humanisme de combat

Transparence, nerf, relief analytique et engagement, tels sont les maître-mots de l'interprétation de la Symphonie n° 12 « Les Morts sur la place » d', par . Associé au et au Chœur de chambre Eric Ericson, ils signent une fresque où Pettersson met la musique savante au service d'un humanisme de combat. 

Ça y est, c'est fait ! Avec cette Symphonie n° 12 – la partition de Pettersson la plus ouvertement militante en faveur des pauvres et des opprimés – le label BIS Records complète son intégrale du corpus symphonique de son compatriote suédois. Une entreprise initiée avec une première parution en 1990, avec la Symphonie n° 5 par l'orchestre de Malmö. Il était temps, Pettersson est décédé il y quarante ans et le label allemand CPO avait fini son intégrale dès 2007. Aucune de ces intégrales n'a d'unité de chefs et d'orchestre, mais l'aventure ne s'arrête pas là. , auréolé d'un constant succès critique international sur ses enregistrements de Pettersson, a convaincu l' et BIS Records d'aller jusqu'au bout du projet. C'est désormais officiel, l'aventure discographique entamée en 2013 va être menée à son terme. D'ici 2024 (date prévue avant que la pandémie de Covid ne vienne jouer les trouble-fêtes), Lindberg et Norrköping auront réalisé la première intégrale de Pettersson par un même binôme chef-orchestre. La Symphonie n° 15 a été donnée en novembre 2019 et sera la prochaine à paraître. Il ne restera ensuite plus que les n° 3 et 8 – les plus attendues – et les courtes et difficiles 10 et 11.

Cet enregistrement de la Symphonie n° 12 s'appuie sur un concert donné en mars 2019, complété par des sessions en janvier 2020. La partition n'a été interprétée que quatre fois seulement, et c'est le troisième enregistrement rendu disponible, après l'enregistrement de la création en 1977 par son commanditaire Carl Rune Larsson avec l'Orchestre philharmonique de Stockholm, puis celui plus souple et plus transparent de Manfred Honeck avec l'Orchestre Symphonique de la Radio suédoise (CPO) associé à son Chœur maison renforcé par le Chœur de chambre Eric Ericson. On retrouve ces deux même ensembles avec , et c'est du coup assez naturellement – à quinze ans d'écart – qu'on retrouve les mêmes qualités vocales, avec deux atouts supplémentaires significatifs : la connaissance intime de l'art symphonique de Pettersson par , et la qualité superlative de l'enregistrement BIS en SACD (un gain qualitatif perceptible également en qualité CD, mais à un moindre degré). Si la partition est essentiellement chorale et exige énormément de ses effectifs, elle n'en intègre pas moins des passages purement orchestraux. Là où chez les deux précédents chefs, ces moments semblent avoir pour fonction essentielle de service de prélude ou de transition aux forces chorales, avec Lindberg on en apprécie chaque moment avec intensité.

On peut dire que chacune des trois versions, toutes recommandables, constitue une avancée par rapport à la précédente, et montre l'appropriation par les interprètes de ce massif intimidant, mais à l'énergie gratifiante. Car ce que réussit l'infatigable Christian Lindberg, c'est d'orienter toute cette symphonie vers sa conclusion positive. Là où Carl Rune Larsson nous faisait expérimenter la souffrance et la rudesse sans espoir de la condition humaine, Lindberg met en relief chaque coin de lumière et magnifie la dimension orchestrale de cette partition. Ainsi, avec Lindberg, le triomphe final de l'Humanité est un aboutissement qui était en germe malgré la répression, les massacres, les injustices. Un optimisme qui relève peut-être plus de la foi que de la raison, comme l'indique Pettersson en faisant briller les trompettes à l'unisson des chœurs dans le finale. Comme si au fond, le plus humble ouvrier avait en lui une étincelle du Christ ?

Comme toujours avec Alain Pettersson, l'humain qui souffre terriblement de l'adversité, est un combattant amoureux de la vie. Et l'exubérant Christian Lindberg, qui semble un double inversé de Pettersson, en restitue magnifiquement le message.

À noter que le livret donne une version anglaise des neuf poèmes de Pablo Neruda, ce qui n'était pas le cas dans le cas des précédentes publications. Les poèmes ne sont pas proposés en français, mais c'est préférable, au vu du livret français indigne, où la symphonie est réintitulée « Les Morts au carré » (traduction littérale de l'anglais « The Dead in the square »), et les manifestants sont désignés comme des « démonstrateurs ». Les six ouvriers assassinés et les dizaines d'autres blessés par la police lors d'une manifestation à Santiago du Chili le 28 janvier 1946, qui a inspiré la symphonie, apprécieront.

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