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Ivan Repušić, chef d’orchestre au service de la musique croate

Le chef d'orchestre croate est le récipiendaire d'un International Classical Music Award, dans la catégorie musique chorale, pour son enregistrement de l'émouvant Requiem glagolitique croate d'Igor Kuljeric et de l'Hymne à la liberté de , publié par BR Klassik. Rencontre avec ce musicien au curriculum vitae impressionnant : chef de l'Orchestre de la Radio de Munich (Münchner Rundfunkorchester) et de l'Orchestre de Chambre de Zadar, et chef invité du Deutsche Oper Berlin.

: Vous êtes à la fois le responsable éditorial et le chef d'orchestre de cet album consacré à des œuvres de Kuljeric et Gotovac. Que représente ce prix des pour vous ? 

: Le prix apporte avant tout un sentiment de satisfaction et de fierté, mais pas tant une fierté personnelle que plutôt du fait que deux compositions vocales croates aient remporté ce prix, et dans une interprétation internationale, ce qui lui donne une importance particulière et me procure un immense plaisir.

D'autre part, c'est aussi le résultat d'une coopération réussie entre la radio bavaroise, le Ministère de la Culture et des Médias de la République de Croatie, la ville de Zagreb et la salle de concert Vatroslav Lisinski, car le projet a été introduit à Munich et à Zagreb à l'époque où la Croatie présidait le Conseil de l'Union européenne.

: Pourquoi avez-vous choisi le Requiem glagolitique croate de Kuljeric ? Que signifie cette œuvre pour vous en tant qu'artiste ?

IR : Pour moi, le choix de cette œuvre a été très émotionnel car je connaissais Igor Kuljeric et sa famille et, quand j'étais enfant, je suis allé à la première à Zadar. Pendant la préparation de cet enregistrement, j'ai communiqué en permanence avec Vanja Kuljeric, la femme d'Igor. Je suis aussi allé au Monastère de Saint-Michel où Antun Dolicki a trouvé un vieux texte croate du requiem dont Kuljeric s'est inspiré pour la composition. Je voulais être extrêmement bien préparé pour donner une interprétation exemplaire de cette étonnante composition.

ICMA : Les ensembles qui l'ont interprétée étaient le Chœur de la Radio bavaroise et l'Orchestre de la Radio de Munich. A-t-il été difficile de leur faire interpréter une composition dont le texte n'est pas en croate, mais en vieux-slave ?

IR : L'Orchestre de la Radio de Munich propose régulièrement des programmes où l'interprétation d'œuvres moins connues prend une large place ; il a donc été possible de les interpréter dans le cycle d'abonnement “Paradisi Gloria” qui a été lancé par mon prédécesseur Marcelo Viotti. L'ensemble du cycle est consacré aux œuvres spirituelles vocales et instrumentales des XXᵉ et XXIᵉ siècles, et elles sont jouées dans l'église du Sacré-cœur de Munich, un bâtiment à l'esthétique contemporaine. Le Requiem glagolitique croate de Kuljeric s'inscrit donc parfaitement dans le cycle. Il est également heureux que le label BR Klassik ait accepté de publier ce programme.

ICMA : La langue croate, ou mieux encore le vieux-slave, ont-ils posé un problème lors des préparatifs ? 

IR : Lorsque la chef de chœur, Susanne Vongries, a découvert que nous faisions les œuvres de Kuljeric et Gotovac, elle a immédiatement cherché un consultant en langue croate. Le jeune chef d'orchestre Darijan Ivezic, qui travaille comme répétiteur au Gärtnerplatztheater de Munich, a assuré le rôle. Il est venu aux séances de répétitions du chœur et les a aidés à maîtriser la prononciation. Après trois répétitions seulement, il a déjà été très étonné de la rapidité avec laquelle les interprètes ont appris la prononciation. Bien sûr, la vaste expérience du chœur dans l'interprétation d'œuvres slaves dans la langue originelle a aidé aussi et leur a permis d'apprendre rapidement la prononciation du croate, ou plus précisément du vieux slave. Et une fois que le chœur a appris qu'il se produirait à Zagreb, la motivation a augmenté en raison du respect à l'égard du public zagrebois lorsqu'il interprète une pièce d'un compositeur croate.

ICMA : Les solistes, la soprano Kristina Kolar et le baryton Ljubomir Puskaric, ainsi que la mezzo-soprano Annika Schlicht et le ténor Eric Laporte, ont également participé à la représentation. Cette distribution mixte a-t-elle facilité ou rendu plus difficile l'interprétation ?

IR : Il fallait voir la coopération entre les chanteurs. Kristina et Ljubomir ont rapidement dissipé toute forme de confusion chez Annika et d'Eric, et lorsque je suis arrivé à la première répétition, je n'ai pas eu besoin d'intervenir dans leur prononciation. Ils se sont aidés aussi d'un ancien enregistrement du Requiem glagolitique croate de Kuljeric datant de 1999. Cela témoigne non seulement du professionnalisme des interprètes, mais aussi les liens que la musique établit, d'abord entre les interprètes et ensuite avec le public.

J'ai été surpris aussi par l'orchestre qui a l'habitude d'interpréter des œuvres de compositeurs moins connus et des œuvres contemporaines. Au cours d'une répétition, un des seconds violons de l'orchestre est venu me trouver et a demandé à voir un endroit précis de la partition pour en prendre une photo : elle était sidérée par l'orchestration de cette partie.

ICMA : Depuis que vous travaillez comme chef d'orchestre en Allemagne, votre production discographique augmente d'année en année. En 2020, vous avez publié quatre enregistrements ! Quelle est l'importance pour vous de publier de nouveaux enregistrements ?

IR : Sans la pandémie, je pense que j'aurais enregistré encore plus de disques. De juin à décembre 2020 seulement, j'en ai réalisé quatre qui seront publiés cette année. Il y a les symphonies de Vanhal, deux enregistrements avec des œuvres de Peteris Vasks et un d'Arvo Pärt avec le Stabat mater, Fratres et plusieurs autres.

ICMA : Des quatre parutions de 2020, deux sont consacrées à de la musique croate. Il semble que vous suiviez le célèbre chef croate Lovro von Matacic qui a dit un jour « Quand les dettes seront réglées, personne ne demandera ce que j'ai fait pour les compositeurs internationaux, mais ce que j'ai fait pour la musique croate ». Il me semble parfois qu'il est plus facile de faire quelque chose pour la musique croate à l'étranger qu'à l'intérieur des frontières croates, ce que l'on constate aussi avec les grands interprètes qui ont quitté la Croatie. Que pouvons-nous changer ?

IR : Il est extrêmement difficile de présenter des œuvres croates aussi difficiles techniquement dans un grand centre musical comme Munich, devant des ensembles qui peuvent parfaitement juger de la qualité d'une œuvre. Cela exige un énorme effort, professionnel et émotionnel, de la part du chef. Sachant à quel point les partitions sont exigeantes, il faut être très bien préparé et complètement satisfait sur le plan émotionnel pour obtenir le résultat souhaité.

Nous sommes un petit pays et cela complique aussi la situation. D'un autre côté, lorsque nous voyons les progrès étonnants que des pays aussi petits que la Lituanie ou l'Estonie ont réalisés en investissant dans la musique classique, dans les jeunes musiciens et dans les publications, nous voyons bien que nous pouvons le faire si nous le voulons vraiment.

Que faire ? Nous devons concentrer notre énergie pour établir meilleures relations au sein de l'Union européenne. Nos institutions devraient mieux se connecter aux institutions et à leurs artistes et ouvrir de nouvelles possibilités de coopération, d'échanges d'expériences et de relations croisées. Il nous manque une institution, au vrai sens du terme, qui ne s'occuperait que de la promotion des musiciens et de la musique croates à l'étranger, de la création des liens et de la présentation de la musique croate. Lorsque j'étais le directeur musical du Festival d'été de Dubrovnik, j'ai toujours essayé d'obtenir la coopération d'ensembles étrangers avec nos interprètes ou compositeurs. Maintenant, j'ai l'impression que nous ne le faisons plus. Nous devons encourager et sensibiliser, il faudrait que les élèves et les étudiants en musique accordent plus d'attention à l'étude, à la connaissance et à la promotion de la musique croate.

ICMA : Si on considère les résultats de votre activité, c'est comme si 2020 n'était pas une année de pandémie pour vous. Comment avez-vous réussi à la surmonter et dans quelle mesure l'ensemble du secteur de la musique en a-t-il souffert ? Quels sont vos projets pour 2021 ?

IR : L'année dernière, beaucoup de projets d'opéra ont été annulés et nous avons donc surtout travaillé sur des enregistrements avec des ensembles radiophoniques ou des concerts en direct. J'ai eu la chance qu'ils soient maintenus. Cette année, je devrais avoir des concerts à Brême, Nice, Francfort, Mannheim, un concert avec l'Orchestre de la Radio de Berlin dans la salle de l'Orchestre Philharmonique de Berlin, une nouvelle production de Turandot à Dresde, Fedora et La Bohème à Berlin, des concerts avec mon Orchestre de la Radio de Munich et un certain nombre de tournées, si nous pouvons les organiser. Bien sûr, il y a aussi les concerts avec l'Orchestre de Chambre de Zadar, l'Orchestre de la Radio Télévision croate et l'Orchestre Philharmonique de Zagreb.

Propos recueillis par Sanda Vojkovic (HRT). Traduction et adaptation : Pierre-Jean Tribot et Michelle Debra (Crescendo Magazine).

Crédits photographiques : © Damil Kalogjera

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