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Ausonia sourit dans C.P.E Bach, pleure dans Tartini

L' rapproche dans son dernier disque avec audace mais non sans raison le violon presque vagabond de et le clavecin imprévisible de Carl Philipp Emmanuel Bach, pour une réalisation engagée et attachante, mais inégale.

Cette année, le collectif de musique ancienne Ausonia, basé à Bruxelles, créé par le claveciniste français , la violoniste roumaine , et le contrebassiste australien James Munro fête ses vingt ans d'existence. L'ensemble est à géométrie variable en fonction des répertoires et des projets musicaux ou scéniques et publie désormais essentiellement sur le nouveau label avignonnais Hitasura.

On ne peut pas dire que le 250ᵉ anniversaire de la mort de ait été marqué l'an dernier par un grand nombre de nouvelles réalisations discographiques. Pourtant la biographie du personnage tient presque du roman d'aventures ; sa réputation un rien sulfureuse de virtuose, l'inventivité de ses compositions, dépassant dans ce répertoire à notre sens de loin la routine vivaldienne, la valeur pédagogique de ses traités (dont l'Art de l'archet, mine de renseignements pour l'interprétation violonistique historiquement informée) font de ce grand maitre un jalon primordial dans l'histoire de l'instrument. Il est une sorte de prototype du concertiste virtuose avec deux ou trois générations d'avance sur l'ère romantique et nous lègue un important catalogue comportant entre autres cent trente concerti pour violon et plus de cent cinquante sonates !

et s'en expliquent dans leur texte de présentation très personnels : ils ont imaginé un programme varié portrait du maître avec ces sautes d'humeur, sa versatilité, son imprévisibilité, sa sensibilité à fleur de peau, son sens de la dissonance, ses coups d'archet diaboliques. Ils se sont penchés sur l'art de l'ornementation sous-entendue par la partition in fine très « schématique ». Voulant associer le clavecin soliste au projet, les interprètes se sont retrouvés dans une impasse : Tartini n'a rien consacré à l'instrument et les transcriptions pour clavier d'ailleurs peu nombreuses s'avèrent inintéressantes. Dès lors, le projet a pris l'allure d'un rapprochement avec Carl Philipp Emmanuel Bach, son cadet germanique de vingt ans, ancré dans une autre sphère culturelle alors en pleine mutation, mais usant de la même opposition exacerbée des affekts – sturm und drang, « sanguineus » contre « mélancholicus » – au fil d'un discours musical kaléidoscopique. L'enchainement alterné et voulu des œuvres des deux compositeurs participe aussi de cette même dialectique d'un discours musical sous le joug de la rupture. Mais, revers de la médaille, l'abondance de biens et les vingt-cinq minutes du (magnifique) Concerto WQ 15 du fils du Cantor entraînent l'amputation de la Sonate pour violon seul de l'Italiano-slovène de ses trois mouvements centraux…

Les interprétations illustrent le propos des longs textes de la pochette, mais ne sont pas toutes pareillement abouties. On apprécia la sélection judicieuse entre pages célèbres et moins connues, effectuée au sein du catalogue pléthorique de Tartini. Incontournable, en ouverture, la célèbre sonate le Trille du Diable opus 1 n° 4, inspirée selon la légende par un cauchemar satanique, retrouve ici son lustre original loin de l'arrangement assez tarabiscoté de Fritz Kreisler. en exacerbe les aspérités des dissonances et des contours mélodiques, par la sécheresse de l'articulation et par la sonorité assez pauvre, peu brillante et variée, pas très conquérante de son violon Marcin Groblicz de 1604 : le Sogni dell' autore, narrant la rencontre onirique avec le Diable nous semble bien timoré. Le continuo très – trop ?- fourni alourdit de surcroît considérablement la donne.

Sauf erreur, le (magnifique) Concerto en la mineur D.112, n'a été préalablement enregistré qu'au sein de l'intégrale Dyamic (en 29 CD !) confiée à l'Arte dell'Arco de Giovanni Guglielmo, alors en début de parcours et prudentissime. Ici, avec un effectif da camera pour les ripieni, Mira Glodeani convainc d'avantage, à la fois par des tempi plus soutenus et très assumés et une ornementation originale, certes un brin envahissante au fil de l'adagio central ; malheureusement la justesse surtout dans l'aigu, très sollicité, et la fluidité de l'archet ne sont pas toujours au rendez-vous et de nouveau le « grain » de l'instrument apparaît parfois fluet et pincé.

C'est finalement dans les extraits de la Sonate pour violon seul en la mineur que convainc le plus la violoniste par une liberté de ton, une souplesse d'archet et un délié des phrasés enfin retrouvés, mais elle se heurte ici à la rude concurrence d'une Rachel Podger souveraine au sein de son programme Guardian angel (Channel Classics), enchanteresse de maîtrise et de style et de surcroît interprétant une version textuelle exhaustive.

De sorte c'est davantage pour le versant consacré à Carl Philipp Emmanul Bach et pour le clavecin que l'on épinglera davantage ce disque. Le Rondo en mi bémol majeur – ouvrant le sixième et dernier volume « Für Kenner und leibhaber » de 1787, un an seulement avant la mort du maître est une sorte de rêverie solitaire tendant la main aux dernières sonates de Haydn ou aux premières explorations beethovéniennes. La vision de , sur un superbe instrument d'Augusto Bonza de 1991, est remplie de spleen nostalgique et de tendresse pudique. Mais le disque culmine dans le rarissime Concerto WQ 15 H.418, de 1745 donné ici dans une version annotée, presque rococo par ses fioritures, plus tardive (1760 ?). Par le truchement d'un effectif réduit, l' allège considérablement les textures et le fil discursif et le choix du clavecin nous semble judicieux, face aux versions concurrentes souvent plus lourdes (Miklós Spány, sur un tangenteflügel, chez Bis, ou Michael Risch au pianoforte chez Hännsler). Le toucher sec brûlant et précis de Frédérick Haas, hérité de son professeur Bob van Asperen, y fait mouche, enflamme la partition. La version ornementée retenue selon une nouvelle édition critique californienne place cette superbe musique de l'entre-deux, faites d'éclairs et d'alanguissements, à la fois dans le sillage du père Johann Sébastian, et déjà en route vers de nouveaux horizons pré-romantiques : voilà une incontestable réussite.

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