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Harmonieuse Création de Haydn par Jordi Savall à la Saline Royale

D'abord annulé à cause de la situation sanitaire, le concert prévu en mai a été sauvé in extremis en juin, la veille de sa première parisienne à la Philharmonie de Paris, par la direction de la Saline Royale d'Arc-et-Senans où achève en 2021 une résidence entamée en 2016.

À l'instar de j'y mets le temps parce que je veux qu'il dure ») qui, entre 1796 et 1798, consacra deux années à l'écriture de son troisième oratorio, aura pris le temps avant de livrer sa lecture de La Création. Le compositeur y ambitionnait de rivaliser avec les chefs-d'œuvre de Haendel qui l'avaient tant impressionné au cours de ses tournées londoniennes. On devine, avant même le début du concert dans la Cité utopique de Claude-Nicolas Ledoux, combien le message universaliste du livret que Gottfried von Swieten a tiré de la Bible et du Paradis Perdu de Milton s'inscrit dans le parcours du chef catalan devenu depuis 2008 Artiste pour la Paix.

Les sept journées sont données sans entracte. Le geste apaisé de délègue les effets de manche à ses instrumentistes du si bien nommé Concert des Nations. Effets attendus (timbales, bois, et même cors à la partie toujours redoutable) et bien là, mais ce qui frappe surtout, une fois lancée l'autorité du stupéfiant portique introductif, c'est la cohésion et la sonorité soyeuse des cordes. Un séduisant piano-forte donne poids à la partie récitative, et profondeur à une lecture discursive et constamment musicale. Le très long duo d'Adam et Eve est pesé avec un humour quasi-vaudevillesque comme avec la plus touchante émotion. Le chœur final, que l'on est parfois tenté de considérer comme en-deçà de ce qui a précédé, se hisse en majesté à la hauteur du Chaos introductif.


Jordi Savall peut compter sur un trio de solistes de premier plan. incarne un gracieux Gabriel, et une mutine (et dansante) Eve au moyen d'une technique rompue aux nombreuses difficultés que lui réserve la conséquente partition. Tout juste pourra-t-on être gagné par le doute sur le fait qu'autant de trésors puissent atteindre le fond de la vaste nef de la grande berne de la Saline où le public a répondu présent en nombre. Un doute épargné du côté des hommes : (Raphaël puis Adam) possède un timbre superbe de récitaliste capable de naviguer avec aisance entre des graves à la Sarastro et quelques aigus à la Tamino, mais aussi l'autorité d'une projection naturelle. L'Uriel exceptionnel du solaire , Évangéliste recherché des Passions de Bach, ressuscite avec beaucoup d'humilité rien moins que le souvenir des grands diseurs du passé. Les vingt chanteurs du Chœur de la ceignent l'ensemble des intervenants, une option qui n'est pas sans risque en termes de présence pour tous, les hommes se trouvant placés à une distance qui crée une certaine préséance féminine. Le dispositif s'avère en revanche envoûtant sur le sublime duo « Von deiner Güt », parfaitement équilibré entre solistes et chœur.

Le concert, suivi avec la plus grande ferveur, se clôt, une heure trois quarts plus loin, avec un triomphe de plus pour Jordi Savall qui, à bientôt 80 ans (et au moins le double de concerts par an) vient d'ajouter une de ses plus belles pierres à l'édifice haydnien.

Crédits photographiques © Yoan Jeudy – sosuite photographie

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