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Patricia Kopatchinskaja, pour un Pierrot Lunaire incomparable

Sombre et enfantin, cette approche du Pierrot Lunaire d', contextualisée grâce à un panorama de la musique viennoise de son époque, ne fait pas dans la demi-mesure avec un engagement sans faille de !

Avec certains artistes, on sait bien avant d'ouvrir la pochette d'un disque – une pochette superbe dans ce cas de figure -, qu'il nous sera impossible d'imaginer avant de l'entendre, la proposition artistique ; c'est le cas de . La surprise est encore plus complète quand on sait que la violoniste, pour des raisons de santé, a été contrainte de prendre certaines distances avec son instrument… mais certainement pas avec la musique. Comme l'atteste cette interprétation singulière du Pierrot Lunaire de Schoenberg dont elle assure la partie vocale, agrémentée de l'arrangement du compositeur de la Valse de l'Empereur de Johann Strauss fils, de sa Fantaisie pour violon et piano op. 47, et de ses Six pièces pour piano op. 19, accompagnés d'œuvres instrumentales d' (Quatre pièces pour violon et piano op. 7), et de (Petite marche viennoise) pour lesquelles elle reprend le violon.

C'est sans ménagement pour l'auditeur et en toute extravagance pour l'interprète, que le sprechgesang est mené. choisit de bousculer nos habitudes avec une interprétation fantasque et loufoque, où l'exagération semble le mot d'ordre tel un nez rouge ou les chaussures disproportionnées d'un clown. Ce parti-pris se retrouve dans l'historique du personnage du Pierrot présenté dans le livret par Lukas Fierz qui explique les origines du « clown blanc » provenant de la comédie antique et reparaissant dans la Commedia dell'Arte.

L'interprète entraîne sa voix vers une fièvre bestiale ou une atmosphère amère et vaporeuse en ayant accompli au préalable un travail extrêmement précis – particulièrement dans la mise en place rythmique – et parfaitement documenté, prenant comme référence entre autres les choix historiques de la soprano Erika Stiedry-Wagner (Columbia, 1940) pour une retranscription rigoureuse de la technique déclamatoire du sprechgesang. La démarche historique se retrouve également dans le sextuor instrumental. Le violon et le piano délivrent ainsi une Fantaisie op. 47 toute aussi excessive, précédée d'une Valse de l'Empereur particulièrement élégante, et suivie par le jeu vif du pianiste dans les Six petites pièces pour piano op. 19.

Dans le chant, voyelles et consonnes acérées se frictionnent, soulignées par le roulement des « r » qui caractérisent les origines d'une artiste (moldave) s'intéressant à chaque syllabe des mots du poème d'Albert Giraud. Celles-ci sont à l'origine d'un renouvellement de sonorités et d'intentions permanent, où son gutturaux et bruités, exclamations et étranglement, sonorisent une vision originale, tout en respectant une approche historique là aussi non conventionnelle, en faisant basculer l'ouvrage dans l'univers de la Commedia dell'Arte – sachant que le Pierrot lunaire fut créé en 1912 par une ancienne actrice, Albertine Zehme. Cette naïveté revendiquée pourra dérouter les attentes d'un auditoire bien familier de cette pièce marquante du XXe siècle.

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