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L’édition revivifiante de Pierre Bleuse à la tête du festival Pablo Casals

Nouveaux horizons et nouveaux artistes sur la scène du festival Pablo Casals qui fait peau neuve avec la nomination du chef d'orchestre . Il signe une première édition tout à la fois fidèle à l'esprit des lieux et résolument tournée vers les talents émergents qui rejoignent leurs aînés au sein de l'Orchestre du festival. 


Comme la plupart des musiciens invités dans cette édition 2021, le Quatuor Béla n'avait jamais encore foulé le sol du festival et moins encore celui des Grottes de Canalettes qui accueillent la manifestation depuis plusieurs années. Une scène a été aménagée dans l'un des décors les plus grandioses du site. L'humidité du lieu n'est pas sans inquiéter nos musiciens, non pas tant pour l'accord des instruments que pour l'état de la mèche des archets… Aux cordes des Béla s'associe la voix de la soprano française dans un programme un rien éclectique (Britten et Mozart) incluant une création du compositeur en résidence, le Colombien .

Pièces de jeunesse de Britten (1933), les trois Divertimenti, Marche, Valse et Burlesque, joués en ouverture de concert, sont une belle découverte : fougueuse et enlevée pour la première, chaloupée et non sans humour pour la deuxième. Burlesque est une sorte de « poème » à programme, engageant une virtuosité débridée au sein des quatre cordes. Les Béla en grande forme, dont on aime la synergie et la précision du jeu, enchaînent avec le Quatuor n°3 dit « Milanais » de Mozart, écrit à 16 ans. La pièce est courte, enserrant un Adagio douloureux au relief dramatique avant le menuet final dont le trio regarde vers Haydn et ses surprises.

Ce sont les accents de Pamina dans son air de La Flûte enchantée (Ach, ich fühl's) qui s'entendent dans Das Lied der Trennung (Le chant de la séparation) K. 519 du Mozart de la maturité. Il est chanté par (sur l'accompagnement du trio à cordes), un soprano somptueux dont la voix longue et l'homogénéité du timbre aussi chaleureux qu'expressif sont appréciables. Elle intervient également, mais à distance cette fois, dans Strato cumulus, la création pour quatuor à cordes et voix du jeune , Premier Prix du Concours de Genève 2019, qui bénéficie d'une résidence au festival. La pièce d'une dizaine de minutes qui lui a été commandée sollicite l'énergie du geste, l'action des processus et la combinatoire rythmique au sein d'une écriture souvent hérissée d'accents auxquels les Béla donnent tout le relief et l'envergure sonore. L'intervention de la voix comme un écho lointain des cordes est une trouvaille, trop fugitive peut-être. Elle ménage en tout cas une transition habile avec le début des Illuminations de Britten enchaînées dans la foulée.

Le cycle pour orchestre de chambre et voix est écrit sur le recueil de poèmes éponyme d'Arthur Rimbaud. La transcription inédite pour quatuor à cordes et voix est signée , violoniste du Quatuor Béla et compositeur dont ResMusica avait fait le portrait. Quasi trombe (comme des trompettes), indique Britten dans Fanfare, la première des neuf parties de l'œuvre. C'est dire la dynamique et le mouvement (une chevauchée dans le 2), les timbres (celui de la guitare dans le 3B) et l'énergie du son à produire dans une partition haute en couleurs que les Béla défendent bec et ongles. L'écriture vocale n'est pas moins exigeante, inscrivant chaque poème dans un cadre spatio-temporel différent : Villes, Antiques, Parade, Départ. Et même si la compréhension du texte en pâtit parfois, la soprano trouve de nouveaux affects et autant de couleurs suggestives pour donner à cette fresque lyrique un éclairage et une vitalité qui n'ont rien à envier à la version originelle.

Une cheffe au pupitre et un compositeur en résidence

Autres transcriptions, celles à l'affiche du concert donné dans l'église de Prades par le (LME) conviant la jeune cheffe italo-turque . Au programme, le très célèbre Prélude à l'Après-midi d'un Faune de Debussy dont les transcriptions, réductions et autres arrangements sont pléthores. Celui de David Walter pour ensemble, qui nous est proposé, invite à une écoute analytique d'autant que l'acoustique de l'église ne favorise pas vraiment la fusion des timbres. On n'en apprécie pas moins le jeu soliste des musiciens (flûte, hautbois et cor anglais en vedettes) et la direction tout en finesse de .

Ce sont des retrouvailles entre et le « Lemanic » qui a joué sa pièce Dune, pour hautbois et ensemble, lors du Concours de Genève 2019 ( était à la baguette) où le jeune compositeur a été primé. Le concerto est redonné ce soir avec en soliste , membre du LME depuis 2012 et hautbois solo de l'ONDIF. L'œuvre instaure d'emblée un espace de lutte entre la ligne du soliste et les impacts sonores puissants de l'ensemble qui lacèrent l'espace. Le mouvement oscille entre tension et relâchement, exposant, dans une très belle séquence, le hautbois solo aux percussions (peaux et bois) toujours très sollicitées : musique pulsée, énergétique et colorée qui respire et offre des plages plus silencieuses où le hautbois dessine des arabesques au profil microtonal avant de déployer des couleurs spectrales à travers de somptueux multiphoniques. Le jeu de est aussi raffiné qu'éblouissant aux côtés d'un ensemble non moins virtuose et superbement réactif.

Le concert s'achève avec les Rückert Lieder (1901-02) de , cinq poèmes de Rückert mis en musique pour soprano et grand orchestre dont le compositeur et chef d'orchestre William Blank, présent dans l'église, a réalisé une transcription pour orchestre de chambre donnée ce soir en création mondiale. , qu'on n'attendait pas forcément dans ce répertoire, est au côté du « Lemanic » pour interpréter les cinq Lieder du cycle, cinq perles dont le timbre mahlérien tout comme la polyphonie ciselée sont remarquablement restitués dans la transcription.

Si le premier Lied, alerte, pâtit de l'acoustique trop réverbérante des lieux, la voix parvient à se déployer dans le 2 (« Je respirais un doux parfum ») et l'espace s'ouvre, somptueux, dans Um Mitternacht (À minuit). Après Liebst du um Schönheit (« Si tu aimes pour la beauté »), la soprano termine avec le sublime Ich bin der Welt abhangen gekommen (« Je suis coupée du monde ») dont le thème conducteur au cor anglais préfigure l' « Adieu » du Chant de la terre : beauté des timbres (cor anglais et clarinettes) et texture soyeuse des cordes sur lesquels s'inscrit la voix. Elle est hélas un rien en retrait, nous parvenant dans un halo de résonance qui noie le texte sans gâcher pour autant l'élan et l'envergure expressifs prodigués par la soprano.

L'Orchestre du festival et ses invités

Promouvoir les jeunes talents en voie de professionnalisation : c'est le vœu le plus cher de . Et s'il n'y a plus d'académie à Prades durant le festival, il existe aujourd'hui un Orchestre du festival . Encadrés par leurs aînés, les membres des Quatuors Dutilleux et Klarthe également en résidence, les jeunes musiciens auront donné durant cette première édition quatre concerts d'orchestre en soirée et sept de musique de chambre en matinée, bénéficiant également de master class dispensées par les artistes invités.

Pour l'heure, à l'Abbaye Saint-Michel de Cuxa, c'est , chef d'orchestre et éminent représentant de l'école russe du violon, qui est à leur tête dans un concert où se côtoient les chefs de file des deux Écoles de Vienne : Schönberg d'abord, Haydn et Mozart ensuite.

Arnold Schönberg a 25 ans lorsqu'il écrit son sextuor à cordes la Nuit transfigurée op. 4 qu'il arrange pour orchestre à cordes en 1917 et révise en 1943. Poème symphonique s'appuyant sur les vers du poète et ami Richard Dehmel, l'œuvre embrasse et synthétise en son écriture toutes les manifestations d'un post-romantisme finissant. C'est ce souffle et ce lyrisme flamboyants que Spivakov communique à son orchestre, sous un geste aussi sobre que magnétique : puissance et lyrisme des thèmes, polyphonie soignée et ruptures dramatiques accusées. L'œuvre a belle allure dans l'acoustique fidèle autant que généreuse de Saint-Michel de Cuxa.

Elle met également à l'aise la jeune , souveraine dans le Concerto pour violoncelle n° 1 de . D'origine russe, la jeune violoncelliste (27 ans) s'est déjà produite avec les plus grandes phalanges orchestrales, celle du Théâtre Mariinsky notamment avec Valery Gergiev. Rayonnante sur son estrade, elle dispense un jeu d'une vitalité éblouissante qui allie précision rythmique et élan du discours, agilité sidérante de la main gauche et liberté de l'archet mis au service de la musique et des couleurs qu'elle tire de son instrument ; celles du mouvement central par exemple où, inspirée par l'acoustique des lieux, la violoncelliste risque de très beaux effets sonores à la marge du silence. Dans le troisième mouvement, elle pousse la virtuosité et la brillance du jeu à ses limites avec l'impertinence de la jeunesse et le feu intérieur qui l'habite. L'Orchestre du festival est exemplaire et l'entente fusionnelle avec . À l'aise sur scène comme devant son public, Anastasia Kobekina, qui parle couramment français, présente son bis, des variations sur un thème populaire avec tambourin, écrites par son père compositeur.

Le concert s'achève avec la Symphonie « Linz » de Mozart, une partition célèbre que le Viennois écrit en trois semaines dans la ville autrichienne. Si l'interprétation du maître Spivakov regarde vers une certaine tradition (ni reprises ni sophistication de l'articulation), la clarté du phrasé, l'élégance des lignes et l'élan qu'il insuffle au sein des pupitres opèrent jusqu'au Finale très enlevé et pleinement convaincant.

Crédits photographiques : © Marine Pierrot-Detry

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