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Spiegel de Friedrich Cerha, un monument rare au festival de Salzbourg

Pour le 95e anniversaire du compositeur, le festival fait œuvre utile en faisant découvrir une œuvre majeure de la musique du XXe siècle.

C'est la mission et l'honneur des grands festivals que de rendre possibles des projets que la vie musicale commune ne permet pas. Pour son concert annuel au festival de Salzbourg, l'Orchestre de la Radio autrichienne rend hommage au compositeur en jouant son monumental cycle orchestral des années 1960, Spiegel, pour son 95e anniversaire. Avec György Kurtág, Cerha est l'un des rares survivants de la génération miraculeuse des compositeurs nés dans les années 1920, amenés par l'histoire à révolutionner la musique sur les ruines de la Deuxième Guerre mondiale ; Cerha reste méconnu en France, et c'est un tort.

Conçu d'un bloc en 1960-1961, puis développé au fil des créations partielles jusqu'à sa première intégrale en 1972, le cycle se situe clairement dans la lignée des compositeurs de sa génération présents à Darmstadt, mais la voix personnelle de Cerha est plus évidente encore que l'effet de génération. Les liens personnels de Cerha avec Ligeti ne se laissent pas ignorer par moments, mais il est patent que chacun trouve sa voie propre face à des préoccupations communes. L'orchestre est certes traité en vastes plages sans concession à un développement thématique, mais on est très loin ici de la micropolyphonie de Ligeti : le déploiement de la texture est beaucoup plus central que l'agitation de surface, même si le scintillement de Spiegel III montre aussi sa virtuosité en la matière. Cerha n'a peur ni des brusques changements d'atmosphère, ni des couleurs tranchées – ces percussions aux couleurs de bruits de bottes dans Spiegel V, le clavecin pétaradant au début du cycle, le concert de klaxons qui anticipe le prélude du Grand macabre de Ligeti dans Spiegel IV.

Une musique émotionnelle et théâtrale

Il est fort dommage que l'œuvre ne soit exécutée que dans sa version purement sonore, alors que Cerha a conçu son œuvre comme une œuvre scénique, avec un livret (abstrait) conçu par lui-même : ces intentions n'ont jamais été réalisées, et le festival aurait pu accueillir cette première. La théâtralité d'une œuvre où la forme ne prend pas le pas sur l'expressivité est pourtant frappante. Les changements d'atmosphère brutaux de Spiegel IV, entre cordes qui menacent de s'abîmer dans le silence à force d'être éthérées, et les klaxons qui viennent déchirer ce fragile voile sonore, semblent appeler directement une traduction visuelle, qui permettrait certainement à un public plus large de découvrir cette œuvre fascinante.

C'est l'Orchestre de la Radio autrichienne qui fait sienne la mission de faire connaître cette œuvre, dont il avait déjà publié un enregistrement sous la direction du compositeur ; cette fois, c'est sous celle d', qui incarne mieux que personne la musique contemporaine au festival de Salzbourg depuis trente ans. L'effectif orchestral est considérable, Spiegel II pouvant presque passer pour de la musique de chambre avec ses 55 cordes solistes face aux 111 musiciens de Spiegel VII, et le chef fait comme toujours preuve d'une absolue maîtrise de tous les paramètres, pour un concert qui est bien plus utile que la routine d'autres orchestres stars qui viennent se faire admirer à Salzbourg.

Crédits photographiques : © SF / Marco Borrelli

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