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Un Opéra pour un Empire, docu-fiction ludique et informé

Diffusé sur Arte avant d'arriver en DVD, Un Opéra pour un Empire de est un documentaire idéal pour présenter les tenants et les aboutissants de la construction d'un bâtiment majeur dans l'univers lyrique.

« J'aspire à beaucoup, j'attends peu. » Pour garantir l'anonymat des auteurs de chaque projet, et cela en faveur d'une impartialité louable, chaque candidat du concours lancé par Napoléon III pour la construction d'un nouvel Opéra parisien, choisit une devise qu'il appose sur chaque dessin de son projet. Celle de , jeune architecte inconnu, semble pourtant empreinte de pessimisme face aux grands noms établis comme Violet le Duc ou le Préfet de la Seine, Haussmann, qui font également partie des 171 candidats. La surprise est donc totale lorsque il est choisi à l'unanimité, l'Empereur y voyant de son côté un signe de modernité.

Le Palais Garnier, un projet politique

Le documentaire de contextualise cette construction dans la politique urbanistique audacieuse de Napoléon III qui verra ériger les bâtiments haussmanniens, source principale du rayonnement international du Paris d'aujourd'hui. A cette époque, une seule salle d'opéra existait dans la capitale, rue Le Peletier. Victimes d'un attentat le 14 janvier 1858 (l'attentat d'Orsini), l'Empereur décida la construction d'un autre théâtre lyrique afin de mieux garantir sa sécurité et celle de l'Impératrice. Naturellement, le bâtiment servira aussi de point d'orgue à son rayonnement politique.

Le rapport entre la politique et l'art est rappelé très régulièrement dans ce documentaire, le Palais Garnier y étant qualifié de « Vaisseau fantôme qui navigue entre deux mondes » : celui du Second Empire qui l'a conçu puis élevé, et celui de la Troisième République qui l'a recueilli puis adopté. Il sera en effet le plus prestigieux chantier du Second Empire ainsi que le symbole de la renaissance d'une Nation après la guerre franco-prussienne. Il ouvrira le 5 janvier 1875 après 15 années de travaux et 36 millions de francs de dépenses (dont 23 millions de francs d'or !).

Le Palais Garnier, un projet architectural et sociétal

Malgré la jeunesse de son concepteur et affirmant un caractère très singulier, le bâtiment de l'Opéra se coule dans une tradition certaine. conçoit l'architecture non par des dessins, mais par des volumes, et son monument se caractérise par la très grande lisibilité des fonctions de ces trois volumes. Ce qui compte est l'harmonie et la cohérence, unifiées par un langage esthétique commun. Chaque artiste rassemblé autour de l'architecte (sculpteurs, peintres, et mosaïstes) doit ainsi dialoguer avec la vision de Garnier ; c'est véritablement une approche nouvelle à l'époque.

Dans la partie docu-fiction, on y voit l'architecte faire le tour de l'Europe pour visiter des grands opéras et s'en inspirer. On retrouve ainsi dans la conception du Palais Garnier, l'influence des grands Opéras italiens (Milan, Vérone) et de l'architecture néo-classique de l'Opéra de Bordeaux. Mais le modèle le plus abouti reste l'Opéra de la rue Le Peletier et sa forme de fer à cheval, les intervenants ne manquant pas de rappeler les obligations acoustiques et techniques liées à l'utilisation future du théâtre. On y voit aussi les difficultés rencontrées, comme le sol marécageux du quartier, ainsi que les solutions apportées : la cuve étanche de l'Opéra deviendra le repère du fantôme de Gaston Leroux, ce qui nous vaut la présence de Thomas Picard, auteur de La Civilisation de l'Opéra.

Chaque visiteur découvre que l'architecture de l'Opéra n'est jamais statique. Elle se construit comme un parcours, ou bien une promenade, qui prépare le public au spectacle. aborde cette arrivée tel un scénographe ou un metteur en scène de la société du XIXᵉ siècle. La variété des espaces est élaborée grâce à de nombreux contrastes avec le grand escalier en guise d'apothéose. Judicieusement, c'est dans cette partie du documentaire qu'est soulignée le rôle sociétal du théâtre, le projet de Garnier ayant été probablement choisi en raison de l'attention donnée aux élites avec une entrée dédiée spécialement aux abonnés, et une autre destinée spécifiquement à l'Empereur. De même, une autre innovation verra naturellement le jour : la présence des femmes dans le Grand Foyer.

Très agréable à regarder grâce à l'équilibre idéal entre sources de première main (principalement iconographiques comme des plans ou des gravures) et interventions scientifiques vulgarisées : Bertrand Lemoine, architecte et historien ; Xavier Mauduit, historien ; Alice Thomine-Berrada, conservatrice aux Beaux-Arts de Paris ; Mathias Auclair, directeur du département de la musique de la BnF et Paul Perrin, conservateur au Musée d'Orsay. Avec enfin des scénettes bien réalisées avec des acteurs convaincants, ce documentaire-fiction donne un regard instruit et ludique sur l'un des plus beaux bâtiments du patrimoine français.

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