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Chamayou et Goerner se lancent à l’assaut de la Burlesque de Strauss

La Burlesque de Strauss n'encombre pas les rayons des discothèques. De fait, la parution simultanée de deux versions de l'œuvre intéresse d'emblée, d'autant que les compléments sont fort séduisants.

acheva la composition de la Burlesque pour piano et orchestre au début de l'année 1886. Âgé de 22 ans, il était alors influencé par les écritures de Brahms et de Liszt. Toutefois, au lieu de composer un concerto dans la forme traditionnelle, il préféra réunir toute sa technique pianistique et sa science de jeune orchestrateur en un seul mouvement. Incontestablement, il essaya de séduire les auditeurs par la plus grande variété des attaques et d'étonner par des timbres d'orchestre incisifs. De fait, le terme “burlesque” fait référence à l'esprit classique voire à une fantaisie baroque. La plupart des solistes craignent la Burlesque non seulement en raison de sa virtuosité – ils savent aussi qu'ils auront peu l'occasion de la jouer après avoir passé beaucoup de temps à l'apprendre ! – mais également à cause de la difficulté de la mise en place. En effet, le moindre décalage rythmique peut conduire à une catastrophe.

et entrent avec une énergie toute lisztienne mais forcent aussi le trait. Les cordes de l'orchestre deviennent rapidement dures et le piano manque de chaleur lorsque l'écriture se fait plus lyrique. La prise de son est, hélas, assez plate (en comparaison du « live » de la Vie d'un héros évoqué plus loin). En vérité, l'auditeur sature assez rapidement dans cette écoute qui fige l'œuvre dans une certaine superficialité alors que l'on devrait y déceler l'ironie à venir de Till Eulenspiegel.

et jouent bien davantage de la malice de l'écriture avec des dynamiques très contrastées et surtout une meilleure définition du piano et de la profondeur de l'orchestre. Un panache certain et un esprit de la danse animent leur interprétation. Elle brille dans le souvenir plus viennois de Brahms que dans la rudesse magyare de Liszt. Goerner joue sur chaque phrase, multipliant les possibilités de dialogues avec les bois de l'orchestre, notamment. Nous écoutons une délicieuse et enivrante pochade qui s'inscrit dans le prolongement des grandes versions d'Argerich/Abbado, Janis/Reiner, Gulda/Böhm, Arrau/Defauw, Serkin/Ormandy, Thibaudet/Blomstedt…

Passons à l'écoute des autres partitions de chaque album. Les six sections qui composent l'immense Vie d'un héros se déploient sous la baguette d' avec un faste que l'on n'attendait pas à ce niveau de qualité. À l'époque de l'œuvre, le compositeur a été nommé Kapellmeister de la Cour de Berlin et le titre de la partition ne peut que séduire la société impériale allemande ainsi que la jeunesse nationaliste qui se reconnaissent dans la puissance héroïque du personnage (qui n'est, en vérité, que le compositeur lui-même !). Pappano bariole ce tableau sonore capté lors de plusieurs concerts, comme il le ferait d'une partition de Respighi. Il en respire la dimension opératique, offrant une épaisseur certaine à son personnage, enrichi de saynètes drolatiques et tragiques à la fois. C'est à la fois d'une grande virtuosité et d'une souplesse exaltant le Jugenstill, qui irrigue la vie et la culture impériale de l'époque. Les vents (trompettes, trombones, tubas) mettent en scène les différents thèmes se heurtant avec une violence éruptive. La présente interprétation ne démérite guère face aux grandes versions de Reiner, Karajan, Kempe et Strauss lui-même.

Du côté de la formation française dirigée par , on goûte la rare et bucolique Sérénade pour vents, pièce de jeunesse (1882), qui semble faite pour les bois français (on se souvient de la superbe prestation de l'Ensemble Paris-Bastille de François Leleux chez Sony). Les musiciens du Philharmonique de Radio France se délectent de cet hommage dédié moins à la Gran Partita de Mozart qu'aux grandes fresques romantiques pour vents. Si Mozart pensait avant tout à l'art du divertissement – tel qu'on l'entendait à la fin du XVIIIe siècle – Strauss place son œuvre dans une approche plus schubertienne et teintée d'harmonies wagnériennes. Les références discographiques pour Mort et Transfiguration sont nombreuses. L'œuvre est interprétée avec une sorte de pudeur sinon de distanciation curieuse. A trop alléger la masse sonore, notamment dans les violons, offre une approche presque debussyste de la partition, au sens où il stoppe tout élan d'un romantisme flamboyant (Berlioz !) et la fulgurance de l'écriture de Strauss. Difficile de ne pas revenir à Kempe, Böhm, Karajan ou bien Szell.

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