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Stéphane Degout à Strasbourg : mélodies et Lieder au bout de la nuit

Déchiré, parfois déchirant, nocturne, onirique… le concert de Lieder et de mélodies proposé par et distille avec force et talent la même angoisse et la même souffrance, qu'elle soient chantées en allemand ou en français.


C'est un programme composé avec beaucoup de soin que nous propose . Petite salutation à Strasbourg pour commencer, avec Zu Strassburg auf der Schanz de , puis quatre corpus de Schumann, Poulenc, Berg et Fauré, entre lesquels s'interposent de rares Pfitzner. C'est peut-être encore un signe d'amitié aux Strasbourgeois puisque Pfitzner y a été directeur du conservatoire et directeur de l'opéra, mais aussi une façon de mieux faire connaître ce compositeur majeur du XXe siècle, encore relativement mal connu en France.

Dès le premier Lied, le ton est donné pour tout la soirée : chante avec une ligne impeccable, une grande sobriété, mais avec un timbre noir comme une nuit sans lune ni étoiles et dans un allemand parfaitement idiomatique. Le désespoir et l'émotion éclosent immédiatement. Dans ce choix interprétatif, les Andersen Lieder de l'opus 40 de sont donnés sans naïveté feinte, sans second degré narratif, là encore dans le vif du drame et de la désespérance. L'exécution de l'ami dans Der Soldat prend alors des accents complètement déchirants. Les sommets les plus élevés sont certainement été atteints avec les Pfitzner. Les ambiances sont toujours nocturnes, mystérieuses, tendues mais rendues avec beaucoup de tact et de lyrisme contenu. Le piano de montre là aussi son soutien sûr et scintillant aux angoisses nocturnes développées par Stéphane Degout.

On pourrait croire qu'avec les compositeurs français, l'interprétation du baryton atteindra l'idéal, mais il faut avouer une légère déception. Certes, son français est parfait, ni ampoulé, ni édulcoré. Bien sûr, son intelligence des textes est maximale et leur restitution sobre et virile est d'une franchise louable. Mais pour les Poulenc – les Calligrammes – la voix est désormais trop grande. Les irisations de l'arc-en-ciel dans La grâce exilée peinent à apparaître, et dans Aussi bien que les cigales, l'apostrophe des « Gens du Sud » prend la dimension impressionnante mais déplacée du prophète Élie s'adressant aux prêtres de Baal. Poulenc a besoin d'humour, de narquoiserie, ce qui n'est pas le point fort de Stéphane Degout, et encore moins à ce stade de sa carrière. Au fait… Elias de Menselsohn… est-ce une si mauvaise idée ?

Avec les Berg comme avec les Fauré, on retrouve une adéquation totale au style de la musique et au sens des poésies. L'évidente accointance du baryton avec les personnages tourmentés ou désespérés fait merveille, aussi bien dans la décomposition comateuse de Dem Schmerz, sein Recht que dans les eaux noires et agitées de La mer est infinie. Stéphane Degout offre encore la lecture – bien faite – de quelques très beaux textes de Rilke, Supervielle ou Büchner, et bien sûr, des bis que le public lui réclame chaleureusement. Un Alte Laute de Schumann, exquis de phrasé noble et de nuances fines, et Après un rêve de Fauré évoqué au bord de la roche tarpéienne, résument tout l'art admirable et le caractère intimement tragique de Stéphane Degout.

Crédit photographique : © Jean-Baptiste Millot

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